La parole aux Amis
Nkul Beti: Comme un chapelet. Paris: Le Lys bleu Éditions, 2019.
Baltazar Atangana Noah, dit Nkul Beti, est écrivain, critique littéraire et chercheur au département de français de l'université de Yaoundé I. Comme un chapelet est son troisième fait littéraire après Mixture (2014) et Aux Hommes de tout... (2016).
Le titre du recueil renvoie au chapelet, objet de dévotion religieuse, composé de cinq dizaines de grains séparés par de grains, un peu plus gros que les autres, qui sont enfilés sur un cordon qui forme un cercle. Les extrémités de la chaîne s’unissent à une médaille à l’effigie de la vierge Marie, et de cette médaille pend une chaîne courte, avec une croix. Il est important de savoir, en outre, qu’au sein de la récitation du Rosaire, il y a une série de prières qui sont chargées de le dérouler. Nous nous référons au “NotrePère”, au “Ave Maria”, au“Gloria”, aux appels jaculatoires, au“Je vous salue Marie” et à l’ensemble des Mystères. Ces derniers se divisent en quatre grands groupes: les Mystères douloureux, les Mystères joyeux, les Mystères lumineux et les Mystères glorieux. Au regard de tous ces éléments, peut-on dire que l’auteur de Comme un chapelet nous livre-t-il une poésie religieuse?
Il est vrai qu’il y’a une forte présence des motifs religieux dans le recueil mais il peut facilement s’établir un parallèle entre le chapelet et les thématiques abordées dans le livre. La trajectoire vitale de l’individu intègre naissance (et dans le livre tout naît: personnes, amour, amitié, joie, rencontres, tristesse, maladie, etc.) et la fin avec la mort (aussi tout meurt dans le recueil: personnes, amour, amitié, joie, rencontres, tristesse, maladie, etc.). Comme récitant du rosaire, la voix lyrique du poète se situe dans le topos-espace du poème et se meut dans tous les lieux de l’action. Les pronoms personnels sujets ou compléments, les pronoms et adjectifs possessifs renvoient à la première personne du singulier:
« Moi, tout emmailloté
Par la chaleur de ses seins reposants,
Ses bons sentiments parfument de jasminum
Le jardin de mon philanthrope péricarde,
Je glousse d’amour ! »
(Page 13).
Les premiers mots (chant de douceur et promesse de sensualité) gagnent en intensité et insistent auprès de la femme aimée pour qu’elle s’abandonne à l’étreinte de l’amant. Voilà donc la naissance d’un amour ; mais tout commence avec la venue d’un enfant au monde qui est bercé et veillé par les parents :
« De ma patoche, me voilà qui
Essuie ses larmes, me voilà qui
La prends dans mes bras, me voilà qui
Passe mes doigts sur sa couenne
Comme si je lui passais de l’huile d’olive! »
(Page 15)
La berceuse est l’un des rares types de chansons pour enfants où le rôle d’émetteur est celui d’un adulte. Dans la tradition camerounaise, ce rôle est assumé par les femmes: mères, tantes, grand-mères, nourrices qui jouent le rôle de berceuses en chantant pendant le sommeil de l’enfant. Ce, afin de faire sentir leur présence. Il faut remarquer que même dans les cas où cette présence n’est pas explicite dans le texte, il est difficile de douter que la personne qui chante la berceuse soit une femme. Chez Nkul Beti on observe une rupture dans la tradition et c’est le père qui va chanter au creux de l’oreille de son enfant:
« Toi,
Adorable gueule,
Si bien cagoulée,
Dors...Dors
Sans sanglots
Pionce! »
(Page 53).
Le chant constitue une modalité qui intègre ruptures et subversions. Dans un premier temps, le personnage du poème continue de chanter les charmes de sa bien-aimée et l'invite à vivre l’amour : “-Ce matin, comme jamais, /Viens-là que je te sers contre mon cœur” (page 17). Le côté transgressif va ressortir et s’intensifier dans la chanson à travers l’évocation de l’homosexualité. Le sujet homosexuel émerge dans les poèmes, dans un contexte dominé par des dispositifs disciplinaires. La diversité sexuelle devrait être acceptée et tolérée par les autres dans la société: “Je sais que tu sauras boire et accepter mon nouveau genre, /Mon entre-deux sexuel, /Le voir” (page 21). Le couple homosexuel cherche sa place au soleil et se sent prêt à défier le regard moralisateur et réprobateur plein de rejet et de mépris: “Nous regarderons les foules rouspéter sur la sexualisation de/ nos intimités” (page 23). L’homophobie est source de persécutions : “Je ressens ton infortune/ Et j'ai honte de mon adynamie/ Devant cette houe mâle homophobie” (page 79). Cependant, cela n’empêche pas de vivre ces amours que la société trouve bizarre: “Cachons-nous, /Pour mieux nous caracoler d'amour/ Comme ces cul-de-jatte” (page 25).
Le tissu poétique recrée la rencontre de l’altérité homosexuelle qui porte dans son corps les marques d’une transgression intolérable pour les pouvoirs hégémoniques qui cherchent à réguler les comportements sexuels.
Le chant s’accompagne aussi de quelques instruments tels que le tam-tam (page 71), le balafon (page 69), le Djembé(page 29). C’est un concert de louanges qui s’élèvent en l'honneur d’un monument de la littérature africaine, Bernard Dadié: “hommes de tous les continents/ nous te célébrons!” (Page 57). Auteur d’une production littéraire considérable parmi laquelle on peut citer des titres comme Afrique debout (1950), La ronde des jours (1956), Climbié (1956), Un nègre à Paris (1959), Béatrice du Congo (1970), Les jambes du fils de Dieu (1980), Bernard Dadíé est décédé en 2019. Pour conserver la mémoire de ce grand écrivain dans le panthéon de la littérature universelle, Nkul Beti fait recours, dans une démarche intertextuelle, aux noms et titres des écrivains africains et afrodescendants qu’il combine avec des phrases et des livres de l’auteur ivoirien :
« Les soufflent s’envolent et s’enchantent...
Le sanglot de l’homme noir se meurt tout doucement,
Il fait un temps de chien dans cette ville cruelle:
Heureusement
Dans ton cahier d'un retour au pays natal,
Wa-toi, l’enfant noir,
Condamne les testaments trahis de la petite bijou ! »
(Page 63)
Si dans cet extrait l’on identifie les allusions à Mongo Beti, Aimé Césaire, Toni Morrison, Camara Laye, etc., le lecteur retrouve d’autres phrases et titres associés à Alain Mabanckou, Francis Bebey, Hemley Boum, Engelbert Mveng, Aké Loba, entre autres. Il s’agit d’un bouquet de voix qui se hissent pour dire à René Dumont que l’Afrique noire n'est pas mal partie.
La société est mise en examen et les problèmes qu’on y rencontre sont passés au fil comme les grains d’un chapelet: d’abord l’incompétence des dirigeants politiques qui ne se soucient guère du bien-être des populations. Lors des campagnes électorales, le changement est souvent promis aux populations, mais après les élections, on se rend compte que “Rien a changé/ Même pas les sifflements/ Des palinodies des poltichiens et gouvernuls qui déglinguent” (page 73). La poésie se sert de son souffle créateur pour instaurer un jeu de mots qui sert à dire le manque de vision et de projets des politiques pour leurs nations. Parfois, ce sont ces dirigeants qui détruisent même leurs propres pays. L’autodestruction qui culmine avec le suicide est considérée comme “Auto-euthanasie” (page 43). L’hypocrisie dans les relations humaines peut aussi causer des préjudices: “Dans ce monde, /Tout n’est que arlequinade humaine/ Où le faux-semblant se taille la part du dragon” (page 49). Il semble y avoir une association malsaine entre le pouvoir politique et la religion. Ces deux institutions s’associent pour défendre des intérêts et ne se préoccupent en aucun cas des gens: “Devant l'idylle incestueuse/ Du politique et du religieux” (page 95).
La violence est un travers dénoncé avec l’assassinat d’un prélat:
« Dans l'eau...
Monseigneur le Benoît,
Corps ivre-vide, poumons secs
Thèse mutilée, soutane immergée
Sandales inversées, bras-jambes cassés
Cabinet non moins ouvert-saccagé,
Assassinat, noyade »
(Page 85)
Cet assassinat dont on ignore les véritables motifs et circonstances reflète un peu la part de mystère que contient la mort : “J’ai demandé aux fumerolles et à la mousson, /Où tu es partie après ta mort, / Tous ignorent!” (Page 35). La mort des êtres chers provoque la tristesse et la fin de l’amour plonge le poète dans la mélancolie qui s’apparente dans son esprit à la mort: “Fausse quiétude, /Mort dans les reins, /Mort dans les os” (page 93). La vie n’a plus de saveur et les jours se déroulent dans l’amertume: “La vie, sans toi, / N’a plus le même goût sucré de l’ananas” (page 91). Malgré le chapelet de difficultés rencontrées dans la vie, le poète croit aux lendemains meilleurs car il porte en lui la vision : “D’un monde chantant espoir et résilience” (page 77). C’est bien avec la fin de tout, la mort qu’on comprend que le titre du recueil de Nkul Beti ne traite pas vraiment de poésie religieuse. Le chapelet est juste un symbole sur le quel l’auteur prend appui pour développer son humanisme.
La mort n’est pas la fin de tout: dans la mémoire des survivants, il restera le souvenir de ceux qui sont partis: “Ton adorable visage et ton sourire chatouilleux/ Tant que je vivrai encore!” (Page 39). La vie et la mort se rejoignent donc, comme dans ce cycle, ce cercle qui se trouve dans le chapelet. Il est hors de question de croire ou d’attendre le salut de la part d’un hypothétique sauveur. Pour inviter le lecteur à sortir du sommeil de la résignation et de l’inaction, il est rappelé que: “Tout ce que Dieu fait n’est pas bien, et tout n’est pas grâce!” (Page 9). Pour l’homme il est impossible de saisir l’essence de Dieu dans son immensité et il faut donc s’approcher de lui de manière personnalisée. Sur le chemin de la dévotion, chacun s’adresse à Dieu comme il peut, comme il veut et comme il préfère. Alors il revient à chaque personne de prendre son destin en main. La foi est une affaire personnelle, il faut donc chercher ses propres voix pour le salut de son âme. Le secret se trouve dans les lignes de Comme un chapelet:
« Tiens:
Sauve-toi de bas en bas
Christ ne reviendra pas demain
Sauve-toi seul...
Ni prières ni onction nécessaires
Sauve-toi en solo! »
(Page 97)
Alain Atouba alias Dernie Negro.
Le Président Jojo sous le Microscope de la Fontaine: un texte d'Eddy Cavé
LE PRÉSIDENT JOJO SOUS LE MICROSCOPE DE LA FONTAINE (Première partie)
Par Eddy Cavé eddycave@hotmail.com
Ottawa, le dimanche 3 février 2019
Dans notre beau pays d’Haïti Thomas, où « l’impossible est possible et le possible,impossible » et où « les gens marchent la tête en bas », l’affabulation présente un attrait presque irrésistible pour quiconque essaie d’en raconter certaines tranches d’histoire. Ésope et, dans son sillage, La Fontaine y ont eu recours pour peindre les mœurs de leurtemps, tout en divertissant leurs concitoyens. Un procédé qui permet de raconter enbadinant une présidence chaotique et menacée de toutes parts d’effondrement.
Tout portait à penser, dès la proclamation des résultats des élections de 2016, que le jeune président avait appris les fables de La Fontaine et qu’il allait au moins en prendreles maximes comme boussole. Mais encore eût-il fallu les appliquer à la lettre et à bon escient!
Le lièvre et la tortue
De toute évidence, une de ses premières déclarations de président nouvellement élus’inspirait de la maxime de la fable du lièvre et de la tortue : « Rien ne sert de courir, ilfaut partir à temps.» Ainsi, Jojo n’avait pas encore prêté serment comme président qu’il effectuait un départ en trombe dans cette course d’obstacles. Pas seulement à temps,mais avant le temps, en faisant cette la déclaration fracassante : « Le carnaval national aura lieu aux Cayes. Point barre. » Le président avait parlé. Déclaration claire et simple àmon goût, mais annonciatrice d’un type de leadership pour le moins inquiétant !
Ainsi, le nouveau maître des lieux s’installait à la fois dans la peau de l’éléphant qui écrase tout sur son passage et du lion qui fait la loi, l’applique à sa manière et règne en maître absolu.
Au grand dam d’une opposition morcelée, épuisée par une campagne électorale de plus d’un an et endormie par le délai de grâce des 100 premiers jours, Jojo se mit à marquerdes points : réussite spectaculaire du carnaval national des Cayes; caravanes del’espoir(et du désespoir) dans le Sud, et l’ Artibonite; révélations tapageuses sur les prixde l’asphalte et ses miracles de magicien au service de la Patrie commune; promesses inconsidérées faites avec l’assurance d’un chef d’État qui n’a pourtant pas les moyensfinanciers de ses politiques. On découvrira plus tard que, tout en suivant les préceptes de La Fontaine, Jojo appliquait une consigne prêtée à Voltaire par un adversaire peu scrupuleux : « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose. » Soit dit en passant,Voltaire n’a jamais prêché pareille ineptie.
Dans la foulée des promesses d’argent dans les poches du citoyen, de nourriture dans toutes les assiettes et d’emplois pour tous, Jojo lancera aussi le slogan Elektrisite nan 24 mwa qui est en train de lui éclater au visage en ce début de février 2019.
Le corbeau et le renard
Dans l’euphorie du carnaval national des Cayes et du concert de louanges qui accueille lecouple Jojo-Titinne au Palais national, le président oublie très vite la leçon de la fable du corbeau et du renard : « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ». Aussi distribue-t-il à tour de bras les largesses du pouvoir aux « hypocrites caressants » quil’encensent sur tous les tons à longueur de journée. Les grands bénéficiaires sont ceux etcelles qui chantent le plus fort et se rasent et se cirent le crane le plus souvent possible enguise de serment d’allégeance.
Les contrats juteux pleuvent alors sur l’oligarchie qui a financé sa très coûteuse campagne électorale et qui attend à bon droit les retours d’ascenseur. Adulé par ce beau monde du milieu des affaires, l’ami Jojo flotte sur un nuage.
Il sillonne le pays à la tête de sacaravane, concentrant entre ses mains les fonctions d’un premier ministre invisible et des ministres introuvables des Travaux publics, de l’Agriculture, etc. La réussite est totale, lebonheur parfait! Mais personne ne voit que les prix montent, que la gourde coule et que le marasme s’installe insidieusement. Un seul refrain :
« Que vous êtes joli! Que vous me semblez beau!»
Amateur de formules simplistes, Jojo oublie toutefois celle-ci : « Qui trop embrasse mal étreint. » Il accumule ainsi gaffe sur gaffe en un temps record : constructions demauvaises routes sans études préalables; improvisations dangereuses dans l’agricultureavec la promesse de création de dix zones de production; nominations partisanes dans tous les secteurs, diplomatie comprise; projet de téléphérique dans le Nord; gestion catastrophique du budget dont le déficit croissant entraîne la gourde dans un trou sans fond. Jojo se bat sur tous les fronts et adore les bains de foule dont les inaugurations les plus insignifiantes lui donnent l’occasion.
Le loup et l’agneau
Jojo avait appris en mémorisant Le loup et l’agneau que la raison du plus fort est toujours lameilleure. Comme il n’a jamais oublié cette maxime qui fait le bonheur des puissants de cemonde, il fonce tête première dans l’exercice solitaire du pouvoir et dans une prise dedécision autocratique et complètement aberrante. La griserie du pouvoir aidant, il oublie très vite qu’il a été propulsé au pouvoir sans préparation adéquate et il ne fait aucun effort pours’initier à la pratique de la délégation.
Il sait qu’il est le plus fort et que tout ce qui est bonpour lui est bon pour son entourage et pour le pays.
Chaussé de ses solides, mais peu esthétiques, bottes de construction, il se fait en outre bon papa, stratège, tacticien, gestionnaire, directeur de chantier et occupe à lui seul tout l’espace médiatique. Ce faisant, il s’entoure d’une armée de courtisans qui applaudissent à tout rompre à ses initiatives les plus saugrenues. Une seule promesse mirobolante manque à son programme de gouvernement : la création de murs à la Trump entre les zones de non-droit et les beaux quartiers de sa capitale bidonvillisée. Bravo Jojo, clament à l’unisson les courtisans accourus de toutes parts! Bali bwa, chofè!
Dans un premier temps, Jojo, le plus fort parmi les forts, est gratifié de tous les honneurs, mais quand, au bout de quatorze mois de mauvaise gestion, les émeutes éclatent, il estcontraint de congédier son premier ministre et d’écarter, du moins officiellement, certains proches devenus trop encombrants. En ce début de 2019, les manifestations de rues ont gagné en importance et inquiètent de plus en plus. Dans le dialogue de sourds qui commence, la rue devient l’interlocuteur le plus fort, tandis que les changementsd’allégeance se multiplient.
En hommage à la vérité, il faut toutefois dire qu’en rusé compère, il se voit aussi en renard.Admirateur silencieux de cette engeance sortie des fables de La Fontaine, il a, avec la complicité de Titine, leurré durant toute la campagne électorale les Gwo Soso, Anne-Valérie, Christine et autres grandes dames du PHTK. Une fois installé dans ce qui reste du Palais national, le terrible duo les écarte habilement de cette officine d’intrigues et il fait place nette pour les nouveaux invités au banquet du pouvoir.
Qu’il s’agisse des maîtres chanteurs et « parle-menteurs » Jacques le sauveur et Gracia Delta,de l’homme d’affaires Edo Zucchini, du tout-puissant shérif levantin ou de Micky lui-même, on observe maintenant que le vent a tourné. Et, avec lui, les girouettes accrochées au mât du navire. Le jeu de la chaise musicale a repris : Ôte-toi que je m’y mette! Pas surprenant que les deux anciens présidents du Sénat qui avaient appuyé Myrlande contre Micky en 2010 aientrepris leurs places dans les rangées de l’opposition. « La politique haïtienne est byzantine! », se plaisait à répéter le professeur et ex-président Leslie Manigat. Jojo est en train del’apprendre à ses dépens.
Le laboureur et ses enfants
Le laboureur mourant exhorte ici ses enfants à ne pas vendre la seule propriété qu’illeur lègue, car« un trésor est caché dedans ».
La publication, fin janvier, du rapport de la Cour supérieure des comptes sur la dilapidation des fondsde Petro Caribe a remis sur le tapis le scandale d’Agitrans et donné une nouvelle vie à cette fable de La Fontaine. Autrement dit, de l’abandon des installations de la gigantesque exploitation agricole qui a propulsé Jojo sur la scène nationale en 2015-2016. Après avoir coûté plus de 6 millions de dollars aux contribuables du pays et servi de rampe de lancement de Jojo au timon des affaires, Agitrans a simplement été fermée et sa plantation de bananes, abandonnée à elle-même.
La seule opération d’exportation connue de cette arnaque est un trompe-l’œil qui finalementn’a trompé personne : l’embarquement de quelques caisses de bananes pour l’Allemagne surun convoyeur pratiquement vide. Et la vie a repris son cours dans ce pays où les scandales ont la réputation de durer 17 jours, soit deux semaines et un week-end additionnel.
Dans un article publié dans l’édition du 20 mars 2017 du Nouvelliste, l’auteur Patrick Saint-Pré offrait des funérailles de première classe à Agitrans :
La spectaculaire expédition de bananes de 2015. Crédit photo : Le Nouvelliste
« Du projet officiellement lancé en grande pompe en octobre 2014 dans le département du Nord-Est, il ne reste qu’un véritable champ de ruines surveillé de près par des gardiens sur le qui-vive empêchant les journalistes [...] de visiter, de filmer ou de photographier la plantation.[...] »
Enfonçant le dernier clou dans le cercueil de l’entreprise défunte, l’auteur ajoutait :
Si Jojo avait appris la fable du laboureur et de ses enfants et s’en était souvenu, il auraittout fait pour sauver la bananeraie. Il aurait retenu surtout que, les héritiers n’ayant pas trouvé le trésor prétendument enfoui dans le terrain légué par leur père et qu’ilspassèrent une année complète à labourer, il était tout à fait logique et très rentable del’ensemencer et de récolter.
« Quoi de plus simple, Eddy, me répondent tous les jours les gens quej’interroge sur ce sujet et qui prétendent détenir la clé de l’énigme? L’objectif du projet n’était pas de faire d’Haïti un grand exportateur de bananes biologiques. C’était de propulser Jojo la banane à la présidence, et cet objectif a été atteint. »
En gestion de projet, m’explique-t-on, comme si je venais d’une autre planète, laréalisation d’un projet ne va pas au-delà de l’atteinte de ses objectifs. Point barre!
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
« Le spectacle de ce vendredi 17 mars dernier est sinistre, avec des bouts de tuyaux cassés du système d’irrigation qui pendent, des vaches qui broutent allègrement une bonne partie de la terre remuée.»
La plantation abandonnée en 2017 pour des raisons non dévoilées. Crédit photo : Le Nouvelliste
Eddy Cavé, Ottawa, Canada.
Dialogue de sourds de Me Serge H. Moïse
Depuis trente ou quarante ans, des démarches sont régulièrement entreprises afin d’attirer au pays des investisseurs étrangers dans la perspective de relancer notre économie. De temps à autres des voyages extrêmement coûteux sont organisés par des délégations pléthoriques, qui reviennent avec des promesses mirobolantes, lesquelles hélas n’arrivent jamais à se concrétiser. Pourtant, gouvernement après gouvernement, l’on assiste au même scénario inutile, avec toujours le même résultat.
Il ne suffit pas de s’accrocher à un rêve pour qu’il devienne réalité. Encore faut-il de manière rationnelle et pragmatique, en tenant compte des besoins de la population, toutes classes confondues, préparer le terrain à cet effet.
Attirer des investisseurs étrangers, et à ce chapitre, il y a loin de la coupe aux lèvres, à cause de l’insécurité grandissante, les tracasseries administratives pour enregistrer une compagnie commerciale, le non respect du droit de propriété et des lois en général, l’état de délabrement de nos routes et du système judiciaire, la pénurie en matière d’électricité, autant de facteurs négatifs qui ne peuvent que décourager d’éventuels affairistes en quête de profits plus ou moins juteux. L’humanitaire se révèle donc plus intéressant que toute autre forme d’investissement, faisant de notre coin de terre l’industrie de la misère humaine sous toutes ses formes.
Nous devons donc apprendre à d’abord compter sur nous-mêmes. Nous l’avons fait à une époque où nous ne disposions pas dans nos rangs de cette kyrielle d’analystes, de théoriciens, d’intellectuels de belle eau et de techniciens aux connaissances les plus pointues et ce dans tous les domaines.
Il nous a fallu un peu plus de trois cents ans de tentatives avortées, d’essais mal planifiés, de trahison entre nous, de revers et de mauvaise fortune. Mais nous n’avions pas baissé les bras. Nous avons recouru à des ruses témoignant d’une perspicacité et d’une intelligence supérieure. Nous avons inventé le marronnage et qui plus est, nous avons utilisé la force de l’ennemi pour le combattre et le terrasser.
Certaines chaînes de notre esclavage furent donc rompues, celles visibles à l’œil nu évidemment. L’indépendance nationale fut donc proclamée à grand renfort de tambours et de trompettes au grand dam de tous les « bwanas ». La preuve venait d’être faite que l’homme noir avait lui aussi une âme susceptible d’atteindre la cime des dieux tutélaires.
Á partir de cette geste héroïque à nulle autre pareille, nous sommes devenus le phare de la race tout entière. Ceux qui ont voulu nous imiter furent systématiquement éliminés. Les bourreaux ont juré que cet exemple ne se reproduirait plus jamais et ils ont tenu parole, bien souvent, avec la complicité consciente ou non de certains de nos congénères.
La vie étant une lutte perpétuelle, il ne faut donc pas s’attendre à ce que la nôtre prenne fin aujourd’hui ou demain. Si comme le célèbre pied noir Enrico Macias, nous pouvons chanter « Rien n’est plus beau qu’un fusil rouillé », il n’en demeure pas moins que pour avoir baissé les bras, et ce à plus d’un titre, nous avons nous-mêmes contribué largement, à nous retrouver dans ces profondeurs abyssales du laxisme, de la corruption et de la misère.
Puisque nous en sommes conscients, tout n’est pas encore perdu, la rédemption demeure donc possible à condition de respecter les lois de la nature que les anciens n’ont pas manqué de nous enseigner et qui s’expriment à partir de sages adages tel :
« Une famille divisée est une famille affaiblie, appelée à disparaître ».
La zizanie, les luttes mesquines et fratricides, les inégalités sociales et l’analphabétisme maintenu à dessein ne peuvent conduire qu’à ce chaos que nous avons échafaudé patiemment et inlassablement depuis l’ignominie du dix-sept octobre mil huit cent six au pont rouge.
« Ventre affamé n’a point d’oreille ».
L’éducation gratuite pour tous, certainement et dans les plus brefs délais. Toutefois, il faut éviter de mettre la charrue devant les bœufs. Ne confondons pas scolarisation et éducation car en reproduisant des générations d’acculturés, la nation risque de ne jamais émerger de son gouffre actuel. De plus, les besoins primaires doivent être pris en compte avant les besoins secondaires, tertiaires et ainsi de suite. Les parents qui ne travaillent pas ne peuvent pas loger, nourrir et habiller leurs enfants et les rendre aptes à recevoir le « pain de l'instruction ». La création d’emplois demeure le point de départ incontournable à partir duquel tout le reste devient possible.
« Il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre et pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir ».
Vouloir à tout prix faire comme les autres, les singer autrement dit, nous maintiendra irrémédiablement dans cette situation d’assistanat qui fait le bonheur de tous, sauf le nôtre.
« Pour pratiquer la vertu il faut un minimum de bien-être »
Demander à des gens qui ne travaillent pas et qui n’ont aucune chance de le faire, de respecter la morale et le droit, dépasse l’entendement humain. Une maman dont les trois ou quatre rejetons crèvent de faim ne saurait résister à la tentation de se prostituer afin de nourrir ses poupons, au risque d’attraper le virus du sida. Désespérée, elle n’hésite pas!
« Il n’y a rien de nouveau sous le soleil »
En effet, les cataclysmes tant naturels qu’humains ont jalonné, sous différentes formes, notre histoire sur cette minuscule planète. Nous avons tout vu et pourtant…!
« Les défaites du Droit sont toujours provisoires »
Puisqu’il est encore question de changement, la modernisation de la législation haïtienne, lentement mais sûrement, sera amorcée sous peu aux fins de nous permettre de rejoindre le cercle des nations dites civilisées.
Nous invitons nos aimables lecteurs à poursuivre ce bel exercice et à réaliser qu’en effet, tout a été dit, mais qu’entre le dire et le faire, il y a souvent un fossé difficile à franchir. Nos propos sont simplement, pour souligner à l’eau forte cette fois-ci, que la solution à nos problèmes ne se situent pas aux antipodes de nos capacités. Bien au contraire, l’important pour nous est d’arrêter de chercher midi à quatorze heures. Il nous incombe de créer notre propre modèle de développement qui commencera par l’instauration de cette grande chaîne de solidarité, pas au niveau des discours et des interminables palabres, mais de manière concrète à travers le (FHS) Fonds Haïtien de Solidarité.
Travaillons tous ensemble à éliminer, autant que faire se peut, les inégalités sociales, par la création immédiate d’emplois sur toute l’étendue du territoire national. C’est possible avec le Fonds Haïtien de Solidarité.
Mettons un terme à notre dialogue de sourds séculaire, faisons une réalité de notre maxime nationale : L’union fait la force. C’est nettement possible avec le Fonds Haïtien de Solidarité.
Faisons franchement appel à la participation active de toutes les filles et fils de la nation, tant ceux de l’intérieur que ceux de l’extérieur dans le cadre de cette grande kombite nationale. C’est certainement possible avec le Fonds Haïtien de Solidarité.
Me Serge H. Moïse av.
"Qui sommes nous?" de Maître Serge H. Moïse
Haïti! Le regard sans complaisance de l'avocat haïtien Serge H. Moïse sur son pays!
« Qui Sommes-Nous? »
Une nation c’est d’abord, un territoire, une population et un gouvernement. Á cela s’ajoute naturellement le principal facteur de son développement qui est sa culture au sens large du terme.
Dans la mesure où nous acceptons ce postulat, force est de nous demander si nous avons atteint, dans les faits, le statut de nation, sociologiquement parlant et loin de toute fiction juridique.
Inutile de remonter le cours de l’histoire que tout le monde connaît plus ou moins et essayons d’analyser certains phénomènes visibles à l’œil nu et qui se révèlent constants en dépit des moments et de certains contextes particuliers.
L’histoire est écrite par les vainqueurs dit le vieil adage, toutefois, après la geste de mil huit cent quatre, réalisée par nos vaillants ancêtres, après le Bois-Caïman, « Bwa Kay Imam » le combat de Vertières, la reddition des forces d’occupation, l’avons-nous écrite notre propre histoire? Sommes-nous parvenus à la dépouiller de ces mythes dont elle a toujours été maquillée? Tel devrait être le cas puisque nous étions les héroïques vainqueurs et fondateurs de la première république nègre du monde.
Nous avons dû payer en franc-or, la reconnaissance de notre indépendance acquise au prix du sang! Quand un président a osé exiger la restitution de ce paiement extorqué par la bouche des canons, mal lui en prit et aujourd’hui, un citoyen de la France noire, le sieur Louis-Georges Tin, décide d’intenter une poursuite judiciaire contre la Caisse des Dépôts et Consignations, espérant que justice sera rendue à qui justice est due.
Bossales et créoles égarés dans la mer caraïbéenne, christianisés pour les besoins de la production des denrées et déshumanisés par la force des choses, nous n’arrivons pas, deux cent treize ans après la rupture des chaînes aux pieds, à nous débarrasser de celles si bien enfouies dans nos caboches.
Paradoxe frappant, nos ancêtres ont juré de vivre libre ou de mourir et petit à petit, nous semblons dire : plutôt la dépendance que la prise en charge de notre propre destin, qui se traduit dans notre vernaculaire par « Pitô nou lèd nou là »!
Craignant de nous retrouver isolés du reste du monde, nous avions décidé de conserver la langue et la religion de l’oppresseur. Nous nous sommes tellement imprégnés de sa science et de sa culture des lumières qu’aujourd’hui, en dépit des sérieuses mises en garde de nos griots tels qu’Anténor Firmin, Jean-Price Mars, Kléber G. Jacob, Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop, Tidiane N'Diaye pour ne citer que ceux-là, nous sommes tout, sauf d'authentiques Haïtiens fiers de leurs racines identitaires.
Nous avons, pour notre malheur, confondu scolarisation avec éducation, privilégiant toutes les valeurs culturelles importées au détriment des nôtres. Le maître nous a dit que notre religion venue avec nous des pays d’Afrique était porteuse de malédictions et qu’il fallait les éradiquer. Sans la moindre réflexion, têtes baissées comme des moutons de Panurge, nos sœurs et frères, les plus « éduqués » évidemment, se sont acharnés à diaboliser les mambos et les hougans. Le catholicisme, oui, le protestantisme, bien sûr, l’islam pourquoi pas, mais le vaudou, jamais s’exclament encore nos soi-disant élites, avec la même naïveté et la même candeur que durant les années quarante, lors de la grande « campagne des rejetés » que Jacques Roumain et d’autres ont combattu du bec et des ongles. Ils sont combien parmi nos fiers compatriotes qui croient encore que leur langue maternelle n’est autre que le français. Négatifs et réducteurs face à toute idée novatrice d’un des nôtres mais toujours prêts à gober les projets-bidons de n’importe quel petit « bwana » de passage. L’odeur du papier-vert et la soumission instinctuelle ne ratent pas leur petit effet. Nous continuons hélas dans la même veine, convaincus que la posture de la main tendue et de l’échine bien courbée demeure l’unique voie de salut.
Rions-en un peu pour ne pas en pleurer : Ne vous est-il jamais arrivé de vous adresser en créole à un congénère et de vous faire foudroyer d’un regard très sévère, suivi d’une réponse plutôt brève, mais pardon, dans la langue de Voltaire?
Nous comptons une kyrielle de docteurs en sciences économiques et nous attendons encore une théorie de l’économie haïtienne, une ribambelle de docteurs en droit et toujours pas un droit vraiment haïtien en adéquation avec notre réalité culturelle, sociale et économique, des docteurs en sociologie, il y en a bien quelques uns, mais qu’en est-il de la sociologie haïtienne? De la recherche, c’est très bien mais pour les autres, nous pouvons nous en passer, semblent nous dire les titans de l’intellectualité haïtienne, puisqu’à moins de nous tromper, il n’y a que l’Amicale des Juristes qui en fasse avec des moyens très limités d’ailleurs. Par contre, dans le monde des arts, la musique, la danse et la peinture; dans celui des belles lettres, le théâtre, le roman et la poésie, nous faisons bonne figure. Franck Étienne, Jacques Roumain et Jacques Stephen Alexis ont fait leur entrée dans le Petit Larousse.
Premières victimes du féodalisme qui s’appelle aujourd’hui, capitalisme néolibéral, nos économistes, véritables bouffons qui s’ignorent, s’évertuent à se constituer en prolongement du maître afin de pérenniser le système qui ne peut que nous maintenir dans notre statut de dépendance au triple point de vue politique, social et économique. Les religions, instruments de domination par excellence, recrutent allègrement afin de perpétuer leur savant lavage de cerveau au sein des victimes elles-mêmes.
Combien de fois avons-nous sollicité l’ingérence étrangère, sinon l’occupation pure et simple? Certains historiens rapportent que le président Franklin Delanoë Roosevelt aurait affirmé ou écrit que pour régner sur ce petit pays nègre, il fallait faire en sorte que les sans souliers fussent toujours en guerre contre les bien chaussés. Nos diplômés le savent tous et comment non? Hélas, dans leurs comportements quotidiens, sur le terroir comme en terre étrangère, ils pratiquent ce que nos analphabètes appellent dans notre succulent vernaculaire le « chen mangé chen ».
Il y a de quoi se perdre en conjectures de toutes sortes car, notre parcours, de l’indépendance à nos jours laisse perplexes et confus tous ceux qui cherchent à discerner les causes lointaines ou immédiates d’une telle situation de fait difficilement descriptible.
Et avec l’exode massif à partir des années soixante, exil politique, exil économique, l’identité haïtienne en a pris pour son rhume, quant au sentiment d’appartenance à la patrie commune, il est relégué aux vestiges du passé, ce qui n’augure rien de bien bon pour le futur prévisible.
Si nous avions tant soit peu conscience de notre haïtianité et du retard que nous accusons par rapport au monde moderne, nous serions tous animés de ce même élan de solidarité, les uns envers les autres, ramant dans la même direction avec pour unique objectif, le sauvetage national.
Hélas, et le constat est bel et bien fait, nombreux sont nos compatriotes apatrides trop heureux de s’acoquiner avec l’étranger, qui profitent sans vergogne, de cette nouvelle industrie, celle de la misère de nos sœurs et frères.
Nous réclamons à corps et à cri l’avènement d’un État de droit dans un pays où en chaque ressortissant il y a un « makoute » qui sommeille.
Nos technocrates bardés de diplômes, pouvant entretenir un auditoire sélect pendant des heures à disserter de long en large des sujets de leurs savantes études, sont incapables d’utiliser ces connaissances pointues afin d’appréhender le réel haïtien dans sa spécificité propre, et essayer d’innover c'est-à-dire, d'adapter ces formules qui font recette en terre étrangère, à notre dimension de petit pays du quart monde appauvri et corrompu.
Qu’on ne se méprenne point, notre propos n’a rien à voir avec une quelconque « campagne de rejetés » contre la formation ou la « diplomation ». Ce que nous appelons de tous nos vœux, c’est certes la fin des mythes, de ce bluff contre-productif et une réforme de la formation à l’instar de ce que préconisent le philosophe Edgard Morin et le professeur André Marcotte à travers le Mouvement Humanisation initié depuis trois ans déjà, afin que les futurs diplômés ne soient plus des robots mais des femmes et des hommes avec ouverture d’esprit et une vision certaine de ce que devrait être la vie des humains, en quête d’épanouissement et du vrai bonheur.
Nous assistons impuissants au déclin de nos valeurs d’antan et ce nivellement par le bas s’est déjà révélé aussi catastrophique que le tremblement de terre du douze janvier deux mille dix.
Avant de rêver il faut savoir, nous dit Jean Rostand. Il ne suffit donc pas d’expliquer et de dénoncer les choses, il faut pouvoir les changer, n’empêche que se taire et continuer de se taire, c’est cautionner sinon encourager la débâcle.
Créer c’est résister, résister c’est créer disait Stéphane Hessel.
Nous demeurons convaincu que tout n’est pas encore perdu, mais qu’une remise en question s’impose quant à notre mode de penser et d’agir et qu’il est donc plus que temps de nous demander : Qui sommes nous et où allons nous?
Me Serge H. Moïse av.
Dialogues imaginaires par Eddy Cavé
DIALOGUES IMAGINAIRES
SUR LE LANGAGE CLAIR ET SIMPLE
Par Eddy Cavé,
Ottawa, ce 5 octobre 2018
Eddy Cavé
PRÉSENTATION DU PROJET
Comme le suggère leur titre, les Dialogues imaginairessont un outil de sensibilisation qui se situe à mi-chemin entre la fiction et la réalité. Entre un produit de mon imagination, celle de l’auteur de De mémoire de Jérémien, et l’évocation de souvenirs gravés dans ma mémoire de passant attentif à tous les bruits de la rue et de la foule.
Le texte porte aussi la marque de deux œuvres qui m’ont grandement influencé pendant mes années d’université : les Plaidoyers chimériquesde l’illustre avocat et académicien français Maurice Garçon, décédé en 1967, et le Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu du journaliste et polémiste Maurice Joly qui a mis fin à ses jours en 1878 après avoir perdu tous ses combats.
Les Plaidoyers chimériquessont un exercice de divertissement au cours duquel Maurice Garçon plaide devant des jurys imaginaires la cause de célèbres personnages de théâtre accusés de meurtre ou de complicité de meurtre. J’en retiens deux : Électre, personnage de la mythologie grecque immortalisé par Sophocle et qui donne un glaive à son frère Oreste et le porte à tuer leur propre mère, Clytemnestre. Le deuxième exemple est Othello, personnage de Shakespeare qui tue son épouse par jalousie pour se rendre compte par la suite qu’elle lui était fidèle.
Le Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu est d’un tout autre genre. C’est plutôt un pamphlet politique qui, sous Napoléon III, vaudra des années de prison à son auteur à cause de son contenu séditieux. Joly y oppose, dans un duel virulent, ces deux penseurs aux idées diamétralement opposées sur tous les sujets, la démocratie, la tyrannie, la liberté de la presse, la légitimité du pouvoir politique, la corruption, etc.
En écrivant les Dialogues imaginaires, je n’ai aucune prétention ou ambition littéraire, mais l’objectif que je poursuis est tout aussi important. C’est celui de mettre le savoir, la justice, le droit, la lecture en général à la portée de tous ceux et celles qui ont l’obligation de connaître quelque chose et qui sont disposés à apprendre. Qu’ils sont disposés également à faire l’effort nécessaire pour comprendre et retenir un texte d’importance capitale dans leur quotidien, Par exemple, une interdiction faite par la loi à un citoyen, le contenu d’un contrat de location d’automobiles ou de maisons, le code de la circulation.
Venons-en au fait. LesDialogues imaginairessont une sorte de page retrouvée que j’ai publiée en annexe de mon livre de 2014 intituléLe langage clair et simple, un passage obligé. Mon intention en les rédigeant en décembre 2007 n’était pas de jouer les censeurs en critiquant le français exagérément savant écrit en Haïti et en diaspora. Je voulais seulement dénoncer certaines conceptions malsaines observées chez nous dans la communication parlée et écrite, tout en essayant de dérider mes lecteurs.
Pour des raisons de commodité, j’ai découpé le texte en cinq parties que je voudrais publier au rythme d’une par semaine. De préférence le vendredi ou le samedi. Ces textes paraîtraient dans au moins un grand quotidien et un hebdomadaire haïtiens et dans les médias sociaux d’outre-mer qui appuient la démarche. Je pense notamment à Haiti Connexion Culture; au Coin de Carl; au site www.berrouet-oriol.comde Robert Berrouët Oriol. Je pense aussi à deux sites européens
tenus par des proches : « Le Monde du Sud// Elsie News » et « Qui vient de loin (Ewur'osiga), le Blog d'Alfoncine N. Bouya ».
Parmi les partenaires associés au projet, il y a pour l’instant les Éditions du CIDIHCA, le Centre international pour la promotion du créole (KEPKAA),Mosaïque Interculturelle d’Ottawa, le trimestriel haïtien de France Pour Haïtiet un grand nombre de stations de radio haïtiennes.
But et étapes prévues du projet
Le but ultime du projet est de promouvoir le langage clair et simple non seulement en Haïti, au Canada et en France, mais dans toute la francophonie. Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas seulement ici d’une manière d’écrire, mais aussi et surtout d’une manière de penser et de voir le monde, comme celle qui sous-tend leplain language anglo-saxon.
Les étapes du projet
La première étape, qui va d’octobre à décembre 2018, consiste à sortir ce projet de mes oubliettes et de le relancer avec une bonne couverture médiatique. Si cette initiative parvient à déclencher un débat, contradictoire je le souhaite, nous avons de bonnes chances de succès. Je voudrais alors mettre la dernière main à un projet de Déclaration haïtienne sur l’adoption du langage clair et simple dans l’administration, la justice, le droit en général.
La deuxième étape, qui s’étendra sur l’année 2019, sera celle de la promotion du concept et de sa mise en œuvre en Haïti et dans la diaspora. Il faudra alors établir des partenariats sur le terrain en vue de transformer notre déclaration en résolution. Nous aurons alors besoin du soutien actif d’un grand nombre d’associations professionnelles et d’organismes publics compétents en la matière. Dans les derniers mois de 2019, nous devrions être en mesure de proposer aux grandes organisations de la francophonie un projet de Résolution déclarant 2020 l’Année du langage clair et simple.
Mentionnons au passage qu’il ne s’agit pas ici d’un vœu pieux. Un seul exemple. Dans le domaine juridique, largement considéré comme le secteur le plus réfractaire à la simplification de la langue, la révolution du langage clair a commencé depuis près de 20 ans au Canada. J’ai moi-même, à titre de jurilinguiste contractuel du Conseil des tribunaux administratifs canadiens, adapté en français un guide de promotion du langage clair et simple (2005) et une initiation à la justice administrative et au langage clair (2007).
Disponibles sans frais en PDF à : www.ccat-ctac.org/view.asp?ccid=491
De son côté, le Barreau du Québec a affirmé avec force, dès 2010, son opinion sur le sujet dans une brochure gratuite intitulée Le langage clair : un outil indispensable à l’avocat, dont il fait encore inlassablement la promotion.
La troisième étape, qui devrait commencer en 2020, sera celle de l’expansion à l’échelle de la francophonie. Il faudra alors tisser des alliances dans les régions les plus conservatrices et les plus hostiles au changement et se mettre à rêver… En couleur, cette fois-ci, s’il vous plaît!
Eddy Cavé,
Auteur, promoteur du langage clair et simple