Qui vient de loin (Ewur'osiga). Le Blog d'Alfoncine N. Bouya

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Nouvelle Analyse de Jean Rony Faldor

HAITI, âme désincarnée par le séisme de 2010 qui devient l’étincelle qui donne un sens à tout

Comment obnubiler l’esprit et la mémoire d’un peuple pour lui faire passer de n’avoir pas grand-chose à n’avoir rien

Auteur : Jean Rony Faldor

Port-au-Prince, le 19 janvier 2014

 

Ça fait déjà environ deux siècles, et cela sans particulièrement omettre les erreurs astronomiques des dernières décennies, depuis que le pays est davantage soumis à la vanité et réduit à la servitude de la corruption et de l’incompétence. Haïti aujourd’hui est de plus en plus propice à la nostalgie du mal, à la désolation, à l’angoisse, à la non-gouvernance, à l’ingouvernabilité et au suicide collectif. Force est de constater que l’intérêt national est politiquement nuancé et consciencieusement trahi, le pays, cocufié et les fondements de la nation fortement ébranlés. La population, accablée par la vie à un point tel qu’elle se demande si elle n’est pas une erreur de Dieu. Elle est tellement assaillie par des doutes sur son lendemain, son futur et sa raison d’être, qu’elle oublie si l’homme est le chef-d’œuvre du Dieu Créateur. La vie lui paraît de jour en jour un voyage dans l’obscurité, et son futur solitaire et assombri prédit toujours des fins quasiment catastrophiques.

Le 12 janvier 2010,  il était 4h53 dans l’après-midi lorsqu’un séisme de magnitude 7 avait secoué Haïti pendant 35 secondes et fait environ 230.000 morts, 300.000 blessés et 1.5 millions de sans abris. Il ne sera toutefois jamais possible de savoir exactement combien de gens ont péri même si l’on pourrait avoir des approximations qui sont fiables. Sur le plan des dégâts matériels, les recherches et investigations menées par des chercheurs comme Angelo Barthold par exemple, ont souligné que 105.000 résidences ont été complètement détruites et plus de 208.000 maisons endommagées; le secteur du logement serait donc le plus touché et représente environ 40% des effets du séisme. Les pertes en logement sont estimées à 739 millions de dollars américains en incluant la fourniture des abris temporaires, le coût de démolition et la valeur des pertes locatives. Les dommages en Haïti après cette catastrophe avaient été évalués entre 3,5 et 5 milliards de dollars US selon Paris.

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Vu aérienne de Port-au-Prince; photo doulbeharvest.com

Pour tous les discours grandiloquents, et la somme de 14 milliards de dollars promis par les gouvernements du monde depuis le 12 janvier 2010, le total général des nouveaux logements construits en quatre ans depuis le tremblement de terre est lamentablement bas: 7.515. Les constructions de logements par l'Etat ou la communauté internationale sont minimes: ce sont les Haïtiens, par eux-mêmes qui reconstruisent, malheureusement souvent sans respecter les normes parasismiques. De nombreux risques sont liés à la reconstruction des logements post-séismes comme la densité d’occupation du logement, le surpeuplement et l’insalubrité. Et ce sont des choses qui ont des répercussions sur l’équilibre psychosocial de l’individu, sur le développement psychosocial de l’enfant et l’incidence de maladies car le logement et la santé sont étroitement liés. Les stratégies utilisées par le gouvernement haïtien et les ONG pour reloger les déplacés n’ont pas tenu compte de la composition de la famille et du lieu où elle va loger. L’exigüité des logements par rapport au nombre de personnes hébergées est un problème majeur. Certaines zones abritant auparavant des camps sont transformées en nouveaux quartiers ou nouveaux bidonvilles, en particulier au nord de la capitale, avec les camps Canaan et Corail.

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Un camp de déplacés. Photo: Britanica.com

Le fameux parc industriel de Caracol, sur la côte nord d'Haïti, qui était censé pour créer 60.000 emplois, avait créé 2.590 à la fin de 2013. Le gouvernement du Canada n’a remis au gouvernement haïtien que 3,29 % des 946 millions de dollars destinés à la reconstruction selon le CPH. Le reste était destiné aux ONG et aux organisations internationales sur le terrain. Sur les 6,4 milliards de dollars fournis par l’ONU jusqu’à maintenant à la suite du tremblement de terre, seulement 9,1 % ont été remis au gouvernement haïtien et 0,6 % aux organisations haïtiennes.

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Pose de la 1ère pierre du parc de Caracol. Photo: Haïtilibre.com

Aujourd'hui, d'après l'Onu, 817.000 personnes ont toujours besoin d'aide humanitaire ou de soins à cause d'épidémies comme le choléra par exemple. Les nombreuses agences de l’ONU et les ONG à la tête des différents secteurs d’activité pour l’aide internationale en Haïti reçoivent la majorité du financement international et, par conséquent, prennent la presque-totalité des décisions pour la remise sur pied du pays. «De telle sorte que les organisations haïtiennes n’ont pas à participer. Les décisions sont prises par des acteurs étrangers, et très peu de fonds son gérés par les Haïtiens», précise le chercheur Paul Cliché de l’Université de Montréal. La Concertation pour Haïti (CPH) fustige le gouvernement canadien pour le manque de transparence dont il fait preuve dans son financement de la reconstruction d’Haïti. Plus des deux tiers de son financement, soit 554,8 millions de dollars, sont attribués à une catégorie «non-spécifiée», affirme Paul Cliché, chercheur associé à l’Université de Montréal qui a réalisé une étude sur l’aide canadienne en Haïti.

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Agriculture cible du gouvernement. Image:haiti-live.com

Madame Michaelle Jean assure pour sa part que cette perte de contrôle du gouvernement haïtien est sur le point de disparaître grâce au plan national de reconstruction. Haïti en assure la gestion depuis la fin du mandat de la CIRH et la création du CAED le 26 novembre 2012 (Cadre de Coordination de l’Aide Externe au Développement d’Haïti) géré par le Ministère de la Planification et de la Coopération externe (MPCE), avec la participation de la communauté internationale ainsi que les tables sectorielles et thématiques pour faire en sorte que l'aide soutienne les politiques et les projets de développement d'Haïti. Le gouvernement s’est d’abord assuré que les ONG sur le terrain étaient imputables, dit Mme Jean. Son travail tend également à mettre fin aux pratiques traditionnelles «afin que plus de bénéfices directs aillent vers les Haïtiens que vers les ONG», ajoute l’envoyée spéciale. «Il faut sortir Haïti du trou noir dans lequel il est, soit une charité mal ordonnée et un horizon bouché. Haïti est aussi un pays de possibilités. Et c’est ça qu’il faut comprendre», clame Mme Jean.

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Education: Plan d'action du gouvernement. photo: haiti-live.com

Les États-Unis devraient s'en tenir à ses engagements envers Haïti, en mettant l'accent sur la construction et réparation de logements (résidences permanentes, des abris temporaires pas), le soutien à l'agriculture et renforcer les capacités du gouvernement haïtien et les entreprises locales et des organisations. Les données de l'Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID) montrent qu'à peine 5 % de son financement pour les projets en Haïti en 2012 est allé aux institutions dirigées par haïtien; ce n'est pas assez bon dirait-on.

Le nouveau plan d'action des Nations-Unies n'a pas l'élévation de précédentes propositions de développement, mais il se concentre sur quatre objectifs essentiels et sûrement réalisables: le logement des sans-abri, la réduction du taux de choléra, l’alimentation des haïtiens en  «insécurité alimentaire» et le renforcement des institutions nationales. Financement pendant un an, donc il compterait avoir 169 millions de dollars en 2014. L'ONU a dit aussi bien dans un communiqué publié récemment que le Plan d'Action Humanitaire pour Haïti, qui s'efforce d'avoir un ton ambitieux et plein d'espoir, semble désespéré. Il prend note des changements positifs comme par exemple, plus de trois quarts des jeunes enfants sont maintenant à l'école primaire, vers le haut d'environ la moitié; les décès de choléra sont en baisse, la population dans les camps aurait été tombée à 171.000 l'année dernière, passant d'un pic de 1,5 millions qui étaient sans abri, juste après le tremblement de terre en 2010. Le Secrétaire Général de l’ONU, M. Ban Ki Moon, a affirmé dans son message de réconfort adressé à Haïti à l’occasion du quatrième anniversaire du séisme, message qui a été lu à Port-au-Prince le vendredi 10 janvier dernier par sa représentante spéciale en Haïti, Mme Sandra Honoré, que « Haïti demeure très vulnérable sur de nombreux fronts. 145,000 personnes continuent de vivre dans des camps de fortune. Le pays est structurellement exposé à des crises alimentaires chroniques. Haïti est le pays qui connaît les niveaux les plus faibles pour ce qui est de l’approvisionnement en eau et de la couverture sanitaire dans les Amériques».

Les avancées sont bien présentes au pays, mais plus de 171.000 personnes vivent encore dans des camps d’abris temporaires. Ces signes encourageants sont facilement remplacés par d'autres faits marquants. L'aide humanitaire ne solutionne pas le problème, indubitablement. La baisse signifie que les partenaires d'Haïti devraient intensifier les efforts de développement pour mettre le pays sur la voie d'une reprise durable, mais ce n'est pas le cas. Il reste bien du travail à faire, et le gouvernement haïtien peine à prendre les rênes des travaux de reconstruction, actuellement menés majoritairement par les agences internationales. Tout va lentement dans le pays et c’est d’abord la déresponsabilisation des Haïtiens et de leur gouvernement à l’égard de la reconstruction et de leur avenir qui crée cette lenteur des travaux. Pendant ce temps, Haïti a encore des cas de choléra, la moitié du monde, et se bat avec un plan d'éradication sous-financé.

Outre d'énormes destructions matérielles, le séisme continue de meurtrir le pays qui quatre ans après, peine à se reconstruire. L'extrême pauvreté n'a alors pas diminué depuis. Face à l'ampleur du drame et de l'urgence, la solidarité internationale a été massive, mais aujourd'hui, l'économiste haïtien Kesner Pharel dresse un bilan sévère: « Tout cet argent dépensé surtout via les ONG n'a pas aidé Haïti. Dépenser 5 milliards de dollars américains et voir les conditions de vie de la population quatre ans plus tard, on peut considérer cela comme un grand gâchis, souligne-t-il. Plus de la moitié de la population haïtienne, environ cinq millions de personnes, se retrouve  à moins d’un dollar par jour. Plus de 7 millions de personnes vivent avec moins de 2 dollars par jour. La reconstruction dans un pays comme Haïti, qui n’a pas d’institutions solides, n’a pas les ressources humaines compétentes, cela a été un gros gâchis. L’assistance ne fait pas le développement comme on dit. Haïti l’a prouvé: on peut avoir l’argent, mais pas le développement». Une bonne partie (42%) de l'aide internationale ait été dépensée dans l'urgence post-séisme. Et quand l’aide ne vise pas la population et le gouvernement pour l’aider à se structurer, c’est une faillite.

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Photo: latinaamericastudies.org

Le RNDDH (Réseau National de Défense des Droits Humains) dans son rapport intitulé «12 janvier 2010-12 janvier 2014:Quatre ans de souffrance avec le spectre d’un sombre avenir», a fait des conclusions intéressantes sur le panorama de la situation qui sévit au pays en dépit des maigres impacts enregistrés dans le cadre de la reconstruction. Selon ce rapport, une nouvelle citoyenneté qui serait porteuse de la refondation et du développement définitif d’Haïti doit constituer la base de la reconstruction sinon, on ne cessera jamais d’être un pays quémandeur.

Les notes du plan des Nations Unies ponctuent que «le moindre choc» à Haïti pourrait l'envoyer dans un nouveau cycle de la misère et la mort. Quatre ans après le tremblement de terre, Haïti demeure un pays fragile et largement oublié. Encore, une attention soutenue, avec le genre de soutien extérieur qu’Haïti a besoin pour reconstruire et devenir plus autonome, est le plus souvent disparue. C'est un pays toujours en proie à une situation d'urgence, même si au-delà de ses rives, personne ne semble se souvenir.

Si la recherche du bonheur est inhérente aux humains et que cela ne saurait être autrement puisque le Créateur, le «Grand Je» de l’Univers nous a créés pour vivre heureux, le bonheur d’Haïti tarde encore et ne viendra pas aussi longtemps que nous nous entêtions à penser à réinventer notre histoire pour agir suivant un instinct destructeur qui jamais ne pourra régler nos problèmes ni nous propulser au paradis. Dans un pays où l’Université est incapable de proposer un projet de société, où le déficit de citoyenneté est énorme, où la vérité sur Dieu est souvent utilisée à des intérêts économiques particuliers, où la valeur de la vie n’est pas enseignée ni respectée, où il n’y a pas de transmission intergénérationnelle de la mémoire du peuple, où l’enseignement à l’école est biaisé et où l’Etat est élitiste et bourgeois, l’horizon du bonheur est inouï et imperceptible.

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 Bus made in Haiti. photo: Haitinews2000.net

Haïti, au demeurant, inachevé et abandonné, est davantage hypothéqué et passé en moins d’une décennie, du stade de n’avoir pas grand-chose à celui de n’avoir rien.

 

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Photo: soleildesnations.com



20/01/2014
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