Extrait de Petit Piment d'Alain Mabanckou
Extrait de PETIT PIMENT d’Alain Mabanckou
« - Ma maladie vient de loin, de très loi…
- C’est-à-dire ?
- Si je suis malade c’est à cause des compléments circonstanciels…
Il éclata de rire :
- On ne me l’avait jamais faite, celle-là ! D’où sortez-vous ça ?
- C’est un ami qui me l’a dit, il s’appelle Fort la Mort…
- Je veux bien, mais quel est le rapport entre vos troubles psychiques et les compléments circonstanciels ?
- Si vous me permettez, docteur, quel est le rôle d’un complément circonstanciel dans une phrase ?
Gêné par la question, il baissa les yeux, étouffant un autre éclat de rire :
- Je reconnais que vous me prenez de court, j’avoue que je n’y ai jamais songé et…
- Mon ami Fort la Mort m’a dit que le complément circonstanciel est là pour compléter l’action qu’exprime le verbe selon les circonstances. C’est vous dire que sans lui, le verbe il est foutu pour de bon, il n’exprime plus avec précision la cause, le moyen, la comparaison, etc., est –que je me trompe ? Peut-être que ma mémoire n’est plus fiable parce que j’ai perdu la plupart de mes compléments circonstanciels ! Ou alors je ne sais plus comment les placer dans mes phrases ! Si j’ai pas mes compléments circonstanciels quand il faut qu’ils soient là, je ne peux donc plus me souvenir du temps, du lieu, de la manière, etc., et mes verbes ils sont désormais tout seuls, ils deviennent des orphelins comme moi et, dans ce cas, plus rien ne m’informe sur les circonstances des actions que je pose, c’est d’ailleurs pour cela qu’on appelle ces compléments « circonstanciels ». Fort la Mort pense que je peux d’autres compléments circonstanciels dans la rue car il y a des gens qui les jettent une fois qu’ils les ont utilisés, mais il me faudra ramasser ceux qui correspondent à ceux que j’ai perdus. C’est difficile car je ne suis pas le seul à rechercher ça dans cette ville, et chaque fois que j’en trouve ça ne correspond jamais à ce ue j’avais avant, et donc je ne …
- Ecoutez, ça suffit comme ça !
- Parce que, entre nous, docteur, je ne vous parle même pas des compléments d’objets directs ou indirects qui, eux, à la différence des compléments circonstanciels sont plutôt faciles à joindre au verbe et…
- J’ai dit ça suffit comme ça ! Je suis médecin, pas un professeur de français !
- Je voulais sincèrement vous aider, docteur…
- Procédons par quelque chose de plus simple. Quel est le dernier souvenir que vous avez en tête maintenant ?
- Maintenant ?
- Oui, maintenant.
- Vous voulez dire en dehors de mes compléments circonstanciels qui se sont barrés et qui ont laissé mes verbes tout seuls ?
- Ne vous inquiétez pas pour ça, si vous répondez à ma question vos compléments circonstanciels reviendront aussi vite qu’ils sont partis.
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- Et vous, Petit Piment, est- ce que vous êtes un nain comme eux ?
- Ça dépend des jours et des mois. Et puis, si je me compare à un dinosaure, c’est obligé que je sois un nain pour le dinosaure…
- Donc si je comprends bien, vous avez déjà vu un dinosaure ?
- Franchement, docteur ! Qui n’a jamais vu un dinosaure, hein ? Il y en a plein dans la Tchinouka ! Et, contrairement à ce que les gens pensent, les dinosaures ils sont gentils avec vous si vous ne les provoquez pas et…
- Vous sentez l’alcool…Vous buvez beaucoup ?
- Comme tout le monde…
- C’est-à-dire ?
- Un casier de bière par jour, mais attention, je ne suis pas le seul à boire ! Si vous voulez je vous cite des noms !
- Ça ira…
- Parce que, je ne voudrais pas que vous croyiez que je suis le seul dans cette ville à picoler de temps en temps. On est nombreux là-bas à la Côte Sauvage, surtout à la Tchinouka, vous pouvez vérifier, chacun ramène son casier de bière. Sauf peut-être le plus vieux d’entre nous, le menuisier Mokili Ngonga, lui il ne boit pas de la bière, il ne boit ue du whisky parce que d’après lui la bière ça donne du ventre, et quand le ventre est gros comment voulez-vous qu’on voie son sexe pour le saisir et faire pipi ? En plus je…
- Et aujourd’hui avez-vous bu ?
- Oui, mais je n’ai pas tout bu, j’ai caché deux bières dans le sable dès que j’ai vu mon voisin venir m’attraper pour m’emmener chez vous, et j’espère que ces deux bouteilles feront des bébés-bières en pagaille. » Alain Mabanckou
Rien que par son titre « Petit Piment », le dernier roman d’Alain Mabanckou se lit comme on avale le contenu d’un casier de bière. Le seul Hic, à mon humble avis, ce sont les références aux ethnies, un peu trop tirés sur les cheveux. On commence la lecture en se disant : « Oh zut encore un roman politique à la Congolaise ! Puis, de fil en aiguille, on se retrouve emporté dans le tourbillon de la vie de Petit Piment qui bourlingue de Loango à la Côte Sauvage de Pointe Noire, accumulant au cours des années des expériences, et pas des moindres, et qui finit par retrouver à la fin, son ami et frère d’orphelinat Bonaventure Kokolo qui lui, n’a connu d’aventure (malgré son prénom) que son orphelinat et qui continue d’attendre le jour où atterrira un avion « un vrai devant l’entrée de l’asile pour me sortir d’ici… »
L’espoir n’a jamais fait de mal à personne. L’utopie permet la poursuite de nos rêves les plus fous !
Un roman à lire sans mâcher du petit piment! A moins d'avoir un casier de bière à ses côtés.
LLK
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