LE PETIT PRINCE RETROUVE
A la fin de son livre « Le Petit Prince », Antoine de Saint-Exupéry avait placé ces deux paragraphes :
« Ca c’est, pour moi, le plus beau et le plus triste paysage du monde. C’est le même paysage que celui de la page précédente, mais je l’ai dessiné une fois encore pour bien vous le montrer. C’est ici que le petit prince a apparu sur terre, puis disparu. »
« Regardez attentivement ce paysage afin d’être sûrs de le reconnaître, si vous voyagez un jour en Afrique, dans le désert. Et s’il vous arrive de passer par là, je vous en supplie, ne vous pressez pas, attendez un peu juste sous l’étoile ! Si alors un enfant vient à vous, s’il rit, s’il a des cheveux d’or, s’il ne répond pas quand on l’interroge, vous devinerez bien qui il est. Alors soyez gentils ! Ne me laissez pas tellement triste : écrivez-moi vite qu’il est revenu… »
La page dont il est question présente une étoile en dessous de laquelle se trouve un trait qui part de la gauche et se divise en deux vers la droite.
Je suis allée maintes fois en Afrique, dans le désert. Je me suis arrêtée à l’endroit indiqué par Saint-Exupéry. J’ai regardé le ciel, j’ai attendu, mais l’enfant n’est jamais venu à moi !
Puis, un jour de blues à Port-au-Prince, en début de saison cyclonique, je me suis rendue dans une librairie, pour évacuer mon blues, vu que je ne sais pas chanter. L’aurais-je su que je me serais contentée d’une chanson d’Aretha Franklin ou de Billy Holiday ou même de Louis Armstrong, notamment « What a wonderful world ». Mais non, je ne sais pas chanter et quand le blues me taillade les entrailles, je me réfugie dans les librairies (jamais dans les bibliothèques parce que je déteste cet air trop sérieux et trop studieux des rats de bibliothèques).
En entrant dans cette librairie de Pétionville, mon regard assombri tomba sur un titre qui fit bondir mon cœur de colère et de jalousie : « Le petit prince retrouvé » par Jean Pierre Davidts. Plus d’espoir pour moi d’être la première à voir revenir l’enfant aux cheveux d’or !
Lui, Jean Pierre Davidts, canadien, auteur de plusieurs livres parmi lesquels, « Les Contes du chat gris », « La machine à laver hantée », « Le vaisseau du désert », « Le monstre de Saint- Pacôme » avait donc retrouvé le Petit Prince, assis dans sa chaise qu’il n’a que « rarement quitté » car, écrit-il, « on peut réaliser une foule de choses sans bouger de chez soi ».
Ainsi donc, il a décidé de voyager « par procuration » à destination de Kyaukpyu, un nom imprononçable et à consonance barbare qu’aucun de ses amis à qui il annonçait son projet de voyage, ne pouvait répéter.
Et voilà notre voyageur sédentaire qui embarque dans « un vétuste cargo à la coque charbonneuse saignant de rouille et à la quille hâtive d’incrustations ». L’embarcation a un nom tout aussi barbare que sa destination : SKIPSKJELEN. Et revoilà notre voyageur sédentaire navigant vers Kyaukpyu. Mais c’était sans compter avec le déchaînement des éléments, qui malmènent le Skipskjelen tant et si bien qu’il finit par se disloquer en pleine mer, laissant notre navigateur à la merci des eaux en furie. Toute chose ayant une fin heureuse ou malheureuse, l’intempérie se calma et le navigateur –sur-place se retrouva sur « un îlot en mouchoir de poche, un simple bouquet de cocotiers plantés dans un tas de sable, nulle part, entre là et ailleurs, un grain de poussière vert sur le bleu infini de l’océan ».
Tout le livre est une longue lettre adressée à « Monsieur de Saint-Exupéry ». Aussi ne peut-il que s’exclamer à l’attention de l’aviateur: « Imaginez, Monsieur de Saint-Exupéry, vous aviez fait naufrage dans une mer de sable, je m’étais enlisé dans un désert d’embruns. Quelle ironie ! »
C’est dans ce « désert d’embruns » que lui apparut, celui qu’Antoine de Saint-Exupéry avait vu monter au ciel là-bas, quelque part dans le désert africain : « Dois-je vous le décrire, Monsieur de Saint-Exupéry ? Vous le connaissez mieux que jamais je ne le saurai. Je préciserai simplement que sa tête avait la blondeur du blé en juillet, lorsqu’il s’est gorgé de l’or du soleil, et que son costume eût moins détonné entre les colonnes de marbre d’un palais que sur un lopin de sable baigné par les vagues de l’océan. A côté de lui, un mouton mastiquait placidement une feuille de palme… » Ah ! le mouton du petit prince, celui qu’à force d’insistance l’aviateur finit par dessiner dans une caisse !
Jean Pierre Davidts, avait donc retrouvé le petit prince plus d’un quart de siècle après sa séparation d’avec l’aviateur français Antoine de Saint-Exupéry. Le temps avait passé et le « bout d’homme » avait changé de lieu. Il n’avait cependant pas grandi, ayant préservé son âme d’enfant. Il n’a pas demandé qu’on lui dessine un autre mouton puisqu’il a gardé le premier qui, précision importante de Jean Pierre Davidts « a un peu vieilli, grossi également – c’est fatal, je suppose, quand on suit un régime presque exclusivement composé de baobabs ». Cette fois-ci, le petit prince est à la recherche d’un chasseur de tigre ! Parce qu’il y a sur sa planète, un tigre qui menace sa rose (ah sa rose capricieuse et fière de ses deux petites épines !) et son mouton.
Sur son chemin, d’une planète à l’autre, il va rencontrer un écologiste qui l’empêche de piétiner par inattention « une insignifica minuscula », espèce en voie de disparition puisqu’il n’en reste plus que 636 516 sur tout l’astéroïde, puis il rencontrera un publicitaire, un statisticien, un gestionnaire, une petite fille et un python, etc.
Le livre se termine comme il avait commencé, par un passage où Jean Pierre Davidts s’adresse, encore une fois, directement à l’auteur du Petit Prince : « Voyez-vous, le petit prince ne pouvait décemment ramener le mouton avec lui, face à la menace constante que le tigre aurait laissé planer sur sa tête…Je vous le retourne dans sa caisse, le petit prince n’en aura plus besoin, et les services postaux sont si pointilleux de nos jours qu’ils refusent de livrer le moindre article s’il n’est pas glissé dans l’emballage approprié. Peut-être reverrez-vous le petit prince avant moi. Advenant ce cas, Monsieur de Saint-Exupéry, saluez-le chaleureusement de ma part et dites-lui qu’il me manque autant qu’il vous a manqué. J’ose seulement espérer qu’il aura gardé de moi un aussi vivant et agréable souvenir que de vous. »
Autres temps, autres mœurs ! Moi qui croyais le retrouver dans le désert du Sahara, il est apparu dans une île perdu au milieu de l’océan et habité par un voyageur sédentaire. Encore un quart de siècle à attendre. Peut-être qu’en levant les yeux au ciel un jour, je finirai par voir l’étoile briller et le petit prince descendre vers moi en pleine forêt équatoriale !
Nyélénga
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