Qui vient de loin (Ewur'osiga). Le Blog d'Alfoncine N. Bouya

Qui vient de loin (Ewur'osiga). Le Blog d'Alfoncine N. Bouya

Max, septième jour!

«La mort est l'aînée, la vie sa cadette; nous, humains, avons tort d'opposer la mort à la vie.», dit un Proverbe africain.

Cela fait aujourd’hui sept jours que Max s’en est allé rejoindre « longa », le pays des Ancêtres selon la tradition Koyo. En pays Koyo, ce jour aurait été celui de l’extinction des feux, symbolisant ainsi la fin du deuil social, par la dispersion des amis, voisins, parents éloignés venus pour assister la famille éprouvée et rendre hommage au disparu. Après l’extinction des feux, chacun rentre chez soi. Les uns reprennent leurs occupations quotidiennes habituelles tandis que  pour les autres, la famille, les parents et les amis proches, le deuil continue sous sa forme psychologique. Car, comme l’écrit Kouakou Kouassi, « le deuil social et le deuil psychologique se conjuguent différemment selon le statut et l’époque du défunt ou de la défunte. »

Côté deuil social, un hommage national a été rendu à Max ; hommage relayé par de nombreux médias nationaux et internationaux car, Max a été, reste et restera un Trésor international dont l’Aura se propageait et continuera à se proposer bien au-delà des frontières et des mers qui entourent son Haïti natal.

Ce que les médias n’ont pas dit ou écrit, c’est que, Max a aussi été celui qui, à la demande du Président William Tubman, avait ouvert et animé la première école supérieure de chimie à Moronvia, capitale du Libéria, pour former à cette science une élite nationale dont ce pays avait grandement besoin notamment à la fin des années 50- début des années 60.  Pour rappel, le Libéria fut fondé en 1821 par la Société Nationale d’Amérique de Colonisation (The Nationale Colonization Society of America) pour y installer des esclaves noirs libérés.

Max a été mis au tombeau. Il reste le deuil psychologique, celui qui, à l’instar de nos coutumes ancestrales, est à la fois lent et long à vivre.

Aujourd’hui est le septième jour qui, pour le peuple Koyo dont je fais partie, n’est qu’une étape de ce que le Professeur Kotto-Essomè nomme « un transfert…qui pour l’Être, consiste à se transporter de la sphère empirique du visible à la sphère ontologique de l’invisible ; à retrouver la nudité de sa substance jusqu’alors occultée par la dimension phénoménale…un transfert restitutif achevant d’établir l’unité de l’Être individuel…une individualité qui poursuit le dépassement de sa propre finitude.» Et, Kotto-Essomè de conclure : «  Salutaire, la mort, en Afrique, se présente sous le type d’une promotion ontologique, puisqu’elle assure l’accès à la classe des inégalables Ancêtres. »

Ainsi, partout en Afrique comme chez les Koyo, « la mort n’est pas destruction de soi mais mise en présence de soi à soi sans médiation empirique. » D’où, l’actualité et  la pertinence de ces mots de Birago Diop :

« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis.

Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire.

Et dans l'ombre qui s'épaissit.

Les morts ne sont pas sous la terre

Ils sont dans l'arbre qui frémit,

Ils sont dans le bois qui gémit,

Ils sont dans l'eau qui coule,

Ils sont dans la case, ils sont dans la foule.

Les morts ne sont pas morts.

Le buisson en sanglot:

C'est le souffle des ancêtres.

Il redit chaque jour le pacte,

Le grand pacte qui lie,

Qui lie à la loi notre sort;

Aux actes des souffles plus forts.

Le sort de nos morts qui ne sont pas morts;

Le lourd pacte qui nous lie à la vie,

La lourde loi qui nous lie aux actes

Des souffles qui se meurent.

Dans le lit et sur les rives du fleuve,

Des souffles qui se meuvent

Dans le rocher qui geint et dans l'herbe qui pleure.

Des souffles qui demeurent

Dans l'ombre qui s'éclaire ou s'épaissit,

Dans l'arbre qui frémit, dans le bois qui gémit,

Et dans l'eau qui coule et dans l'eau qui dort,

Des souffles plus forts, qui ont pris

Le souffle des morts qui ne sont pas morts,

Des morts qui ne sont pas partis,

Des morts qui ne sont plus sous terre. »

En ce septième jour, je dis à Rachel, à Didier, à toute la famille Beauvoir, à Nicole, à Margareth, à Damaz, à Mireille, à Giuditta, à Augustin, à Erol, à Louise, à Alice, à Tirèze, à tous ceux et à toutes celles du Péristyle de Mariani, à tous et toutes les autres qui se reconnaîtront en lisant ce texte, je dis ces mots du Sage Amadou Hampâté Bâ :

« Tout est lié. Tout est vivant. Tout est interdépendant. »

Les feux se sont éteints. Le deuil social est fini. Il nous reste à vivre avec le choc psychologique. Nos cœurs gémissent, gémissent, gémissent. Mais, nous espérons.

Nyélénga.



19/09/2015
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 406 autres membres