Guédé - Toussaint - Halloween
La fête des Guédés a lieu généralement les 1er et 2 novembre de chaque année coïncidant ainsi avec la Toussaint des chrétiens, fête de tous les saints que l'on confond souvent avec celle des Morts, et Halloween (la fête des "diab" héritée des Celtes et des Gaulois). Selon les propos de feu Max Beauvoir recueillis chez lui à Mariani lors de mes visites, les guédés peuvent être célébrés durant tout le mois de novembre et parfois même au-delà.
Les guédés sont des loas. Les loas sont des êtres immatériels, invisibles dont l’existence remonte à la nuit des temps, aussi loin que remonte notre humanité.
Franck Désiré, déguisé en Guédé
Très souvent les guédés sont définis comme les loas ou esprits de la mort. On oublie alors de préciser qu’ils sont aussi les loas de la vie puisque la vie et la mort vont de pair. La vie ne peut se concevoir sans la mort et la mort ne peut se concevoir sans la vie.
Dans le panthéon du vodou haïtien il y a plusieurs guédés dont les plus connus sont les Barons parmi lesquels on peut citer Baron Samedi, Baron La Croix, Baron Cimetière auxquels s'ajoutent Brave Guédé, Guédé Nibo Guédé Fouyé, Guédé Loraj, etc. Outre les barons qui sont masculins, la famille des guédés compte aussi des guédés féminins comme Grann Brijit qui serait l’épouse de Baron Cimetière. Baron Cimetière représente en fait le premier homme enterré dans un cimetière et Grann Brijit représente la première femme enterrée dans le même cimetière. C’est ici que la croyance haïtienne rejoint une croyance congolaise de mon enfance, hélas aujourd’hui disparue.
En effet, dans les années 50 - 60 quand la ville de Brazzaville n’avait que deux grands cimetières : celui de La Tsiémé et celui de Moukoundji Ngouaka, il était inconcevable de se rendre au cimetière pour un enterrement, pour une construction de tombeau ou pour un simple dépôt de fleurs le jour de la Toussaint sans s’arrêter devant la tombe du premier homme et de la première femme enterrés dans ce cimetière, pour leur demander l’entrée des lieux en leur offrant des fleurs mais surtout en faisant une petite libation avec du vin de palme. Le premier homme et la première femme étaient souvent enterrés non loin l’un de l’autre. Leur tombe était reconnaissable au drapeau national qui y flottait. On ne pouvait même pas se rendre au cimetière ne serait-ce que pour désherber la tombe d’un parent ou d’un ami sans faire de même sur celles des deux premiers occupants des lieux. Hélas, cette pratique est complètement perdue aujourd’hui à Brazzaville où les cimetières privés ont fleuri, où les tombes sont envahies par les hautes herbes et où les profanations des tombes sont devenues monnaie courante. Au Congo, nous avons coupé le contact avec nos morts, nous les avons légués dans l’oubli, eux et le respect qui leur était du, et nous avons, de ce fait, perdu le vrai sens de la vie qui ne se comprend que dans la relation avec la mort.
En Haïti, contre les vents et marées des condamnations du vodou, en dépit des campagnes anti-vodou, la fête des Guédés est une des grandes fêtes du vodou qui ramènent les fils et filles de la diaspora au pays. Les 1er et 2 novembre, outre les cérémonies organisées dans les hounfὸ (temples), les rues des villes et des villages/ habitations/localités/bourgs ainsi que les cimetières sont pris d’assaut par les populations, toutes croyances confondues : les chrétiens, principalement les catholiques se rendent au cimetière ou sur les tombes des parents disparus pour y déposer des gerbes et couronnes de fleurs, allumer des bougies ou repeindre les tombes et caveaux familiaux. Les vodouisants quant à eux s’adonnent à des rituels très particuliers : vente des bougies et autres objets sacrés à l’entrée des cimetières, allumage des bougies sur les tombes de Baron Cimetière et Gran Brijit, libation et consommation de rhum, de cigarettes et cigares, chants et danses, consultations des esprits sur différents aspects de la vie, offrandes, etc.
Les rues sont sillonnées par des personnes adeptes des /ou incarnant les guédés pour la circonstance dont l’accoutrement n’échappe à personne : grosses lunettes teintées, pantalons bouffants souvent de couleur noire ou mauve, chemise, veste ou cravate de couleur violette ou blanche, la tête recouverte d’un feutre ou d’un haut de forme ; ils tiennent généralement un bâton, une sorte de canne à la main sur laquelle elles s’appuient pour exécuter des mouvements de danse érotiques, malencontreusement jugés obscènes alors qu’en réalité ces danses guédés ne sont que la révélation de l’étroite et multimillénaire relation de Éros et Thanatos, que la psychanalyse traduit par la dualité des deux pulsions de vie et de mort. En tout cas, la choréhraphie des guédés d'Haïti a quelque chose de commun avec celle des Laobés du Sénégal.
Guédé s'appuyant sur sa canne.
Dans le vodou comme dans la vision africaine du monde et de l’univers, la vie et la mort s’imbriquent de façon intrinsèque à la manière du Yin et du Yang chinois. L’une ne peut s'appréhender qu'à la lumière de l'autre. L'une ne se laisse jamais saisir hors de l'autre.
La fête des Guédés est donc la célébration de la vie et de la mort, célébration qui perdure encore dans beaucoup de sociétés africaines et qui a lieu essentiellement quand survient une naissance ou un décès. À Haïti cette célébration est la somme d’un double héritage : l’héritage des Indiens Taïno et l’héritage Africain de la fusion desquels émerge une singularité bien haïtienne. (à suivre…)
Nyélénga
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