Quand un Haïtien Natif rencontre une Haïtienne Natale
- Madame, il y a un Haïtien qui veut vous voir !
- Un Haïtien ? »
- Oui, on lui a dit qu’il y a une Haïtienne qui est de passage dans notre bureau, ça ne peut être que vous !
- Oui en effet, faites le venir !
L’homme s’arrête devant la porte. Nous sommes trois dames dans la salle. De trois nationalités différentes. Va-t-il reconnaître la Natale, sans qu’on la lui présente ? Il me regarde, sourit et s’avance vers moi. Je dégage sans aucun doute en moi les senteurs de l’huile de palma christi qu’il a capté aussi facilement. Je me lève pour le saluer !
- Kouman ou yé ?
- Pa pli mal…
La conversation s’engage ! Il est heureux de rencontrer une dame du pays. Pas une native, certes ; mais une natale affirmée.
Les souvenirs jaillissent du fond de sa mémoire. Il revit le pays ! Il revoit le pays. Je me sens la copie conforme d’Ayiti chérie !
- Jérémie, tu connais ?
- Mais Oui ! (comme on dit chez nous là-bas)
- Je suis de Jérémie ! Il jubile !
La conversation prend la tournure d’un interrogatoire. Cela fait longtemps qu’il est parti du « pays des montagnes ».
- Tu habites où à Port-au-Prince ?
- Turgeau, puis Laboule…
- Alors tu connais Kenscoff ?
- Mais bien sûr ! Il devient songeur ! Son esprit est reparti là-bas. Je ne veux pas le ramener à la réalité de cet espace où nous trouvons.
- J’ai aussi habité Delmas, tu sais ! Il ne m’écoute pas. Il continue sa visite à travers le pays.
- Jérémie, les Cayes, Port Salut, Fonds des Nègres, Jacmel…J’égrène pour lui toutes ces villes que je transporte en moi, comme autant d’ingrédients indispensables à ma survie. L’incrédulité se lit sur son visage. Il sursaute. Il vient de trouver la colle.
- Saut d’eau ? Tu as été à Saut d’eau ? L’idée me traverse l’esprit que j’ai peut-être affaire à un hougan venu s’installer ici.
- Attends, je vais te montrer. J’avance mon ordinateur juste en face de lui. Je fais défiler les photos prises au Saut d’eau, à la Citadelle, au Saut du Baril…Il n’en revient pas.
- Tu connais mon pays plus que moi !
- Notre pays, Wagler, notre pays ! Tu es natif natal ; moi je suis natale tout court. Mais ce pays-là est le tien comme il est le mien. Tout moun Nèg se Ayitien, non !
- Sé vré, il murmure ! Moi-même dans ce pays, je suis chez moi ! Seule la langue kréyol me manque ! L’émotion devient insoutenable. Je le prends par les épaules et le raccompagne : N ap pale demen maten !
Nyélénga
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