Morceau Choisi de: La ronde des ombres de Philippe N. Ngalla
" Peu importe ce que le sort prévoyait, Sylvestre résolut de s’y opposer. Soutenir ses charges serait difficile, mais préférable au manège du mystérieux ennemi qui par les ombres avait réussi à le piéger dans la peur et l’angoisse. Tant pis si le destin avait décidé qu’il était temps pour lui de faire ses adieux aux affaires. Il n’obtempérait pas, fut-ce au prix de lourdes pertes. En aucun cas il ne connaîtrait une déchéance telle qu’il se la figurait, spectaculaire, mémorable, humiliante. L’exil, la prison ou une mort de scélérat étaient pour ceux qui faute de jugeote, s’étaient fait avoir.
Pour la première fois depuis le début de ses tourments, il blâma sa légèreté dans le traitement des questions politiques. Il éprouva de la gratitude envers son humeur favorable à l’introspection. Elle ressemblait par ses effets à la caresse d’une brise inespérée dans la nuit moite et suffocante d’une ville humide et poisseuse. Sa lucidité retrouvée, sa situation se présenta dans toute son étendue. Il déroula sa journée depuis le début, quêtant avec une attention extrême les égarements induits par l’inquiétude. Sous cette clarté nouvelle, le refus du Vieux Faugon perdit la signification de traîtrise pour gagner la considération plus honorable d’opportunité. Il l’obligeait à puiser en lui-même les ressources pour mettre définitivement un terme au boucan de l’opposition. Pouvait-on lui rendre meilleur service en des moments aussi difficiles ? Il s’en voulut d’avoir porté un jugement indigne sur ce vieil homme loyal.
Dans le silence de ses pensées, Sylvestre avait évalué les cartes à sa disposition pour s’opposer à la fatalité. Le calcul se soldait par un résultat d’autant plus décevant qu’il martelait l’échec de sa conception du pouvoir. Ses choix de gouvernance, sa conduite habituelle le mèneraient, sinon au tribunal ou au cimetière, du moins à l’anonymat de son hôtel particulier parisien.
Le pragmatisme le plus froid d’imposait s’il voulait sauver sa peau, son pouvoir et sa dignité. Il ne trouva pas mieux pour se tirer d’affaire que d’amorcer de profonds changements dans sa politique. Les carottes étaient peut-être déjà cuites, mais rien ne l’empêchait de tenter. Tant que la crête de la vague qui le submergeait n’était pas en vue, il était encore temps de changer d’amure. Il hésita sur la violence. Cache-misère. Illusion, dilatoire. Elle ne ferait qu’aggraver sa situation. On sort rarement indemne de la houle populaire qu’elle soulève inexorablement. Comme pour appuyer sa réflexion, des images télévisées de ses pairs arrêtés et malmenés défilèrent dans sa mémoire. Le soulèvement déclenché, qui savait jusqu’où il mènerait ? Une chose était certaine, savoir ses enfants arrêtés, violentés, dépouillés, souillés, le tuerait. Cela acheva de le convaincre. Il renonça à la confrontation avec le peuple, attendue de pied ferme. Il opta pour le retour à la confrontation politique classique, celle du choc des idées."
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