Péril fécal et choléra
Le 9 avril 2013 je vous envoyais, depuis Ndjaména la capitale (du Tchad, bien sûr) le message suivant traitant de « Canicule et Péril Fécal ». Voilà qu’aujourd’hui je découvre dans un texte de Radio Okapi (sœur jumelle de notre Radio Minustah), l’évidence que vous allez lire plus loin. En attendant pour rafraîchir la mémoire de ceux qui étaient sur ma liste du mois d’avril, et pour mettre au parfum les autres, je vous livre ma « livraison » d’alors ! Suivez-moi bien !
« Je vois que notre Gugu national a commencé à compter les jours avant mon retour dans la Perle. Cela s’appelle un countdown. Mais mon Chè Neve, il faudra ajouter quelques jours de plus, car je dois faire un crochet un peu plus bas, dans la partie sud du Sahel, plus précisément au Sénégal, un pays qui, contrairement au Tchad, donne sur l’océan atlantique juste en face du Brésil, selon mon prof de géographie d’il y a mathusalem.
Dis-moi Gugu, comment tu as fait pour passer 6 mois dans la canicule du Tchad, te nourrissant de steaks de chameau ? J’avoue sincèrement que j’ai beaucoup de mal à respirer, pour ne pas dire à supporter cette chaleur. C’est la preuve que je suis de la forêt. Aussi, je vous préviens que vous n’allez pas me reconnaître car, à défaut de cramer (j’ai la peau aussi dure que celle d’un crocodile de l’Oubangui et du Chari, deux fleuves qui serpentent dans la brousse équatoriale), j’ai encore noirci. Et que ceux d’entre vous qui pensent que le noir est synonyme de diable, se préparent à faire des invocations du genre « Vade Retro Satana » sans basculer dans la chasse aux sorcières car je suis encore loin d’être une sorcière accomplie. Il fait chaud ! Il n’est que 13h45 et j’ai déjà vidé 4 bouteilles de 1,5 litre. Cl. K peut nous dire combien ça fait vu que j’ai toujours été nulle en mathématiques au grand désespoir de Monsieur Gilbert qui, chaque fois qu’il me voyait sécher devant ma copie de maths, levait les yeux au ciel et s’écriait : « Quelle affaire ! » Parce que la veille, après 3 heures d’exercices surveillés, il était convaincu, le cher professeur que moi sa filleule, j’avais accompli des progrès en maths ! Paix à son âme ! En réalité, je n’arrive pas à me faire à cette idée de « paix à son âme » vu que je reste convaincue que de là où il se trouve, il me jette souvent des coups d’œil en se disant : « Mes efforts ont quand même été récompensés ! » Nel, tu vois que je ne l’oublierai jamais, mon cher Prof de maths!
Gugu, j’ai une question embarrassante à te poser et j’aimerais que tu nous répondes franchement et sans détours. J’ai constaté que les hommes ici s’accroupissent. Alors dis-nous comment toi tu faisais ? Car, depuis plus d’un mois que je suis ici, je me demande bien ce qu’ils font dans cette posture. Ce n’est qu’hier que j’ai pris mon courage à deux mains, la canicule aidant, et que j’ai demandé au chauffeur ce que font ces hommes accroupis que l’on voit un peu partout quand on roule dans la périphérie de la ville?
- « Mais Madame, ils font ! » dit-il calmement.
- « Ils font quoi ? insisté-je ?
- « Ils font Madame, ils font !
- « Oui je sais ils sont accroupis et je le vois très bien!
- « Ce n’est pas ça Madame ! c’est qu’ils font ! » je vois que le chauffeur commence à être agacé. Je me tais un moment puis je reviens à la charge !
- « C’est ma dernière question. Si tu veux, tu réponds, si tu ne veux pas, tu ne réponds pas. Alors, ces hommes accroupis dans la brousse, ils font quoi ? »
- « Et chez vous, ils font comment, Madame ? »
- « Mais je ne sais pas moi ! Faut-il d’abord que je sache ce que ceux-ci font avant de te dire comment ils font chez moi ! » Là c’est moi qui commence à perdre patience, vous l’avez compris ! Il arrête la voiture sur le côté de la route, en descend, s’éloigne un peu et s’accroupit lui aussi. J’essaye de regarder ce qu’il fait, mais son boubou m’empêche de voir quoi que ce soit. Mon imagination s’emballe : Il est sans doute en train de ramasser des criquets qu’il a vus sans que moi, je les vois ; il est peut-être en train d’attraper un grillon comme cela se fait dans les pays forestiers ou des agoutis (rats de brousse) comme le font les Y-voit-rien. Je ne sais pas. J’écarquille les yeux, me tords le cou et me rapproche encore plus de la vitre – arrière juste derrière moi. Je sens une douleur au bout de mon nez : c’est que je me suis trop rapprochée et je viens de me cogner le nez contre la vitre de la portière.
- « Zut ! je fais, les yeux larmoyants. Eh oui le nez est très sensible et quand on se cogne le nez, les yeux coulent. Je n’ai jamais compris cette solidarité entre le nez et les yeux ! Du coup, je ne vois pas le chauffeur revenir et remonter dans le véhicule, puisque mes yeux sont remplis de larmes de douleur.
- « Voilà, Madame, les hommes accroupis dans l’herbe, ce qu’ils font c’est qu’ils pissent ou ch… ! Vous comprenez à présent? » Il a l’air triomphant !
- « Heu ! hum ! C’est vrai ? » Je prends un air enchanté, stratégie bien calculée pour le désarçonner de sa superbe. « C’est que chez moi, les hommes pissent debout et ch… dans des latrines ! Au rythme où les hommes s’accroupissent ici, votre pays court le risque d’un péril excrémentiel !» Je ne sais pas s’il a compris ce que je viens de dire. Mais peu importe ! Je suis fière d’avoir accompli mon travail d’éducatrice : une graine semée finit toujours par germer. »
Vous avez tous compris !
Or voilà ce que je viens de découvrir sur le Net avec pour référence « Radio Okapi » :
« Kinshasa : le manque de toilettes favorise le choléra au quartier Pakadjuma
Plus de deux milliards d'individus dans le monde vivent encore sans toilette. Ces chiffres ont été livrés mardi 19 novembre par l'Organisation mondiale des toilettes lors de la célébration de la journée mondiale des toilettes. Cette triste réalité est aussi observée à Kinshasa, capitale de la RDC. La plupart d'habitants de Pakadjuma, un quartier de la commune de Limete, urinent et défèquent dans la nature. Une situation qui favorise le choléra, affirme une infirmière de l'unité de traitement de choléra de ce quartier.
Plusieurs centaines des familles vivent dans le quartier Pakadjuma, une concession de la Société commerciale des transports et ports (SCTP), le long du chemin de fer. Les habitations, construites en tôle ou en bois, jouxtent des tas d'immondices. Et beaucoup de parcelles ne possèdent pas de toilettes.
« Ici à Kapadjuma, beaucoup de parcelles n'ont pas de toilette, c'est ce qui nous pose des sérieux problèmes pour lutter contre le choléra. C'est pour cela que les gens font toujours les selles partout dans la nature. Et la pluie amène l'eau là où il y a des gens. C'est là où il y a beaucoup des problèmes pour le choléra » explique l'infirmière du centre de traitement de choléra de Pakadjuma.
Selon l'Organisation mondiale des toilettes, le manque de toilettes dans plusieurs coins du monde est une situation d'urgence. Cette organisation affirme que les toilettes à domicile évitent aux familles beaucoup de maladies.
(Correspondance de Radio Okapi) »
Pour votre information (et la mienne aussi, je l’avoue) : l’organisation mondiale des toilettes est une ONG internationale ayant pour objectif la promotion des toilettes et l’amélioration de la santé publique. Elle fut créée le 19 novembre 2001 et déclara cette date comme Journée Mondiale des Toilettes.
A présent vous avez établi le lien, n’est ce pas ? Nous, le choléra on l’a eu autrement : par l’eau ! Entre le péril fécal de ma lettre du mois d’avril et le choléra, il ne manquerait plus que les trombes d’eau pour empirer les choses.
Bien à vous.
LLK
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