Qui vient de loin (Ewur'osiga). Le Blog d'Alfoncine N. Bouya

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Serge Picard est vraiment parti (par Eddy Cavé)

SERGE EST VRAIMENT PARTI!

Par Eddy Cavé

Ottawa, Le 14 août 2015

La nouvelle est tombée comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Pris une première fois au piège des rumeurs circulant sur cet ami que j’appelais  affectueusement Capitaine Fracasse, je refusai dans un premier temps d’en croire

mes oreilles. Les confirmations se sont ensuite déroulées de minute en minute de sorte qu’il n’était plus question de douter. Paresse, lassitude, refus de me redire, je ne sais, j’ai sorti du dossier Souvenirs de mon disque dur une page écrite le 25 décembre 2010, le lendemain d’une première annonce du décès du Capitaine.

Connaissant son sens de l’humour et son mépris de tout ce qui s’appelle danger, je n’avais pas hésité à la lui envoyer pour le taquiner… et aussi pour le rappeler gentiment  à l’ordre.  Peine perdue, car cet homme n’était né ni pour la monotonie de la vie de bureau ni pour l’ennui dans lequel s’enlisent la plupart des retraités de notre âge.  En guise de condoléances, je  partage aujourd’hui ce texte avec Nelly, Johanne et Tanya, avec Milo et Fanfan, avec Eddy L., Colette, Carlier et Yves,  membres de la famille élargie, et au cercle des amis qui connaissaient nos sentiments réciproques…

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                                     Notre dernier petit-déjeuner au domaine Kay Benn à Patte-Large

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APRÈS MAÎTRE PARNELL, SERGE PICARD…

Par Eddy Cavé,

Ottawa, ce samedi 25 décembre 2010

 

Au moment où je faisais fiévreusement mes dernières courses de la veille de Noël, j’ai reçu sur mon portable une mauvaise nouvelle que je souhaite être au moins la dernière du genre pour 2010. Le même ami Cécil Philantrope qui m’avait annoncé le décès de Parnell au début de la semaine m’appelait de New York pour me dire que notre ami d’enfance Serge Picard venait de décéder à Miami. Quel choc!

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                                                                   Le visage d’un homme heureux!

 

J’ai revu ensuite notre enfance à Jérémie où Serge était le genre d’enfant que toutes les mères auraient voulu avoir : calme, assidu à l’école, attentif, ne faisant jamais d’escapades ni de folies. Après un début de carrière très prometteur aux États-Unis, il retourne au pays dans les années 1970 où on le retrouve dans l’humanitaire, plus précisément à la tête de Secours catholique. Dans les années 1980, nous vivons avec Jean-Claude Fignolé, Jean-Gérard Gelée, Kaptenn Julio et divers autres amis d’enfance d’intenses moments de bonheur à parcourir en bateau la baie de Port-au-Prince, les plages de La Gonâve, les Cayemite, les Basses, etc.

 

Établi avec son épouse Nelly à Patte Large, près de Corail, où il avait repris la direction des propriétés familiales, il mène la vie d’un gentleman farmer, s’achète un nouveau voilier et participe à toutes les activités sérieuses de relèvement de la Grand’Anse. Sans être un élu comme Jean-Claude Fignolé, il semble jouer un rôle des plus actifs dans les activités de l’Association des maires de la Grand’Anse (AGAMA), ainsi que dans la conception et la mise en œuvre d’un grand nombre de projets en cours dans l’arrondissement.

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                                                                      Entre Vilbrun et Gérard

 

Serge était sur tous les fronts en même temps, dans les projets de développement, les activités récréatives, la production agricole. Je venais de découvrir qu’il collaborait avec Francisque Mayas, à titre de membre du Comité de rédaction,  à Promo-Magazine, le bimestriel de l’association jérémienne Promo-Culture. Cet homme-orchestre parti, il faudra une infusion massive de sang neuf pour remettre le malade sur pieds. C’est par des actes concrets et non par des mots que nous, de la diaspora, devrons tenter de combler le vide créé par son départ.

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                   Vue partielle d’un souvenir de notre enfance à Jérémie. Serge est au centre de la deuxième rangée. De g. à dr. : Raymond René, Maurice Bontemps (†), Serge, Jean-Gérard Dégraff, Ripert Clermont (†),  Dac Cadet, Fred Vilaire.

1ère rangée : Eddy Lévêque, l’ami de toujours; Serge Bontemps; Jacques René; Charlie Roumer; Frère Pierre; Yves Bontemps, son compagnon des derniers jours; Francis Besson.

On voit aussi sur cette photo Guy Félix, Eric Girault, Eddy Cavé, Lockner Bourdeau, Jean Dimanche, Jean-Arthur Rouzier, Jean-Claude Jacob, Carl Alcindor, Serge Cabane, Serge Legagneur,  Rony Apollon, Carl alcindor, Ernst Pierre, Gérard Chassagne, etc.

On reconnaît à l’avant-dernière rangée Fred Sansaricq exécuté sous Duvalier en 1964 et son frère Daniel, tombé les armes à la main en 1968.

                                             MON COMPAGNON DE VOILE N’EST PLUS!

                                                                     Par Eddy Cavé

                                                        Ottawa, ce vendredi 14 août 2015

 

Par suite de la disparition soudaine de Serge, mes voyages au pays natal ne seront plus les mêmes. Si je perds en lui un ami d’enfance, un frère avec qui je passais des journées entières à parler de tout et de rien, je perds le seul compagnon de voile que j’avais au pays depuis le départ de Jean-Arthur pour le Mexique et de Jean-Claude pour l’Argentine. Je me rends compte aujourd’hui que, par-delà tous les souvenirs communs qui pouvaient nous unir, la passion de la mer et  de la voile était devenue au fil des décennies un des ciments de notre amitié. Que ce soit à Port-au-Prince ou à Jérémie, nous ne pouvions converser dix minutes sans qu’il ne me pose cette question-invitation classique : Ki lè nou pral bay de kout gouvènay?

 

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Toutes affaires cessantes, je partais avec lui en direction des Arcadins où il avait un ou deux voiliers. Une fois le voilier gréé, il s’installait au gouvernail et je suivais ses instructions. Le bonheur était alors parfait pour nous deux. Serge n’était pourtant pas, comme nous autres,  un gars du bord de mer. Mais de la colline de La Providence où il a grandi et d’où il avait le port et la mer à ses pieds, il observait au jour le jour  le va-et-vient des bateaux, les voyant même mieux que nous. C’est sans doute ainsi qu’il a développé une passion de la mer aussi forte que la nôtre. Et quand il a quitté les États-Unis dans les années 1970 pour œuvrer au pays dans le domaine de la coopération internationale, il a donné libre cours à son désir le plus profond : maitriser la mer, ses secrets, ses caprices. Il y a réussi puisqu’après avoir affronté en mer tous les dangers possibles et imaginables, il est tombé sur la terre ferme comme un arbre géant arraché par un ouragan.

 

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                                       À bord d’un de ses voiliers à Patte-Large en juillet 2011

 

Comme mon beau-frère Jean Martineau, terrassé par un arrêt du cœur à l’École des gardes-malades de Jérémie, Serge n’a pas eu le temps de souffrir et est parti en plein combat. Jean en sortant d’une salle de cours; lui, au lendemain d’une journée d’élections qui comptait beaucoup pour Corail, sa ville d’adoption. Un combat   pacifique pour ce pays  qu’ils ont aimé comme un être de chair et de sang. Pour la Grand’Anse à laquelle ils étaient viscéralement attachés…

À la nouvelle du décès de Jean Martineau en 2008 et de mon arrivée à Jérémie pour les funérailles, Serge était parti précipitamment de Port-au-Prince avec Donald pour aller assister notre famille. Un geste d’amitié que je ne suis pas près d’oublier… Trois ans après, il rentrait à Jérémie spécialement pour m’emmener en séjour chez lui à Patte-Large. Quel enchantement que ces journées passées dans le décor idyllique de Kay Benn rehaussé par la touche très personnelle qu’y apportait Nelly. Un autre moment inoubliable de mes séjours au pays natal!

Promenades à pied au lever du soleil pour explorer le domaine en humant l’air frais du matin, en écoutant le chant des oiseaux. En marchant sur les feuilles sèches ramollies par la rosée. Souvenirs d’enfance communs et expérience différentes de l’adaptation  à l’étranger, etc. Je découvre sans transition la majesté du domaine, la luxuriante végétation de ce coin de pays protégé des prédateurs par le mauvais état des routes…

 

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                                                          Au cœur du domaine Kay Benn

 Au détour d’un sous-bois, je découvre ce ruisseau qui coule sur les terres mêmes de cet ami d’enfance converti en gentleman farmer. Milo m’en avait parlé, mais je n’aurais jamais pu le visualiser… C’est en fait la seule fois de ma vie que je parcours le domaine privé d’un ami. Du Nikon acheté précisément pour ce voyage, je mitraille le paysage sans avoir la moindre idée de l’usage que je ferais un jour de mes clichés…

Après un délicieux déjeuner santé, c’est le moment fort du périple, l’appel du large. Le vent du matin est frais et promet une promenade tranquille. Tout se passe bien en effet et je joue les marins avec quelqu’un qui connaît la mer.

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                                                                               Avec le chien fidèle

Après une promenade dans les eaux de Patte-Large en compagnie de son chien fidèle Benn, nous partons visiter les amis retournés à Corail : Irène, qui devait nous quitter peu de temps après; Rolin retourné depuis à Ottawa; Christiane qui me fait parler à Georgia, à Pestel. La dernière escale est pour Michel qui nous fait un accueil réception dans la plus pure des traditions de Corail.

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                                     En compagnie de Michel, que je retrouve avec un grand plaisir

 

Une forte averse éclate pendant que nous mangeons chez Michel.  Mais, nous sommes en bonne compagnie, la bouffe est excellente et le Scotch fait des heureux goût. Sur le chemin du retour, je découvre l’un des plus beaux paysages de la vie. Après la forte averse qui vient de balayer la ville, Lacombe a pris les couleurs d’un film de répertoire. À travers les teintes de gris qui se reflètent dans une mer aux couleurs changeantes, je surprends le soleil couchant en train de se frayer timidement un  passage entre les nuages. Je saute de l’auto et je réalise les plus belles photos de ce voyage.

 

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D’expérience, je sais que les plus beaux couchers de soleil ne sont pas néces-sairement ceux des journées ensoleillées qui, en fin de compte, se ressemblent presque tous. Aussi ai-je pris depuis longtemps l’habitude de guetter ces moments très particuliers où le mélange de nuages gris et d’une forte humidité modifie le paysage de façon tout à fait inattendue : « Viens par ici », me dit Serge en m’entrainant vers un coin encore plus pittoresque.

 

La vue d’un groupe d’enfants jouant et chantant auprès de quelques épaves et l’amoncellement de « roches blanches » au premier plan  de ce paysage de rêve déclenchent chez moi une véritable euphorie. Je fais ainsi, du même coup, cinq ou six photos aussi belles les unes que les autres. Mieux encore je découvre que, dans les conditions de luminosité existantes, ma lampe-éclair part toute seule et accentue le blanc des roches, laissant le restant du paysage à la lumière du jour :

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Le lendemain matin, je visitais les installations de préparation et d’entreposage du riz produit sur la ferme. Cent vingt sacs par mois, me dit-il. Impressionnant! Blan Pika dans la peau d’un entrepreneur, jonglant habilement avec les charmes de la vie rustique, les plaisirs de la mer et les exigences concrètes de l’exploitation agricole. Difficile de concilier cette image avec celle du Capitaine Fracasse…

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                                                     Un dernier contrôle de qualité!

Pendant que nous dégustons une tasse de café produit sur les terres mêmes de Serge, nous entendons le ronronnement bien familier d’un moteur : « C’est Michel, me rappelle-t-il, qui vient te chercher pour le retour à Jérémie. » Sans trop y penser, on se dit un au-revoir devenu depuis deux jours le dernier adieu!

 

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                                                  À l’entrée du Domaine par la mer!



28/08/2015
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