Morceau choisi de « J’étais à Oualata » de Boye Alassane Harouna
En quatrième de couverture : Depuis l’indépendance le 28 novembre 1960, l’Etat mauritanien a développé une politique « raciale », discriminant et marginalisant l’entité négro-africaine, au profit des Bidanes (arabo-berbères).
Sous les régimes successifs –d’ould Daddah à ould Taya- , les tensions entre les deux communautés, générés par cette politique « raciale , n’ont cessé de s’exacerber.
En 1966, l’arabisation de l’enseignement secondaire provoque des remous et la protestation historique dite « des 19 cadres négro-africains ». En septembre 1986, des intellectuels négro-africains sont jetés en prison. Leur crime ? Avoir publié un document dénonçant le racisme d’État. Le 22 octobre 1987, suite à un putsch avorté, une vague d’arrestations s’abat sur Nouakchott, ciblant les cadres militaires négro-africains. L’auteur fit partie de cette « charrette » négro-africaine emprisonnée à Oualata puis à Aïoun. Il retrace ici les péripéties de l’engagement, l’arrestation, le calvaire carcéral, qu’il a partagés avec tant d’autres militants.
Le fort de Oualata, battu par les sables, pourrait figurer le symbole d’un État raciste condamné à disparaître.
Interrogatoire du capitaine Hady
Dès que nous fûmes à l’intérieur de l’état-major où il régnait une agitation frénétique fort perceptible, notre comité d’accueil nous faussa compagnie pour de bon. On nous installe séparément dans les bureaux du bâtiment de la C.Q.G. (Compagnie du Quartier Général). Quelques instants plus tard, j’entrevoyais le lieutenant Diacko Abdoul Kerim sortant d’un bureau, et d’un autre, me parvenait une voix familière : celle du lieutenant Sarr Amadou. Manifestement, l’étau se resserrait autour des jeunes officiers noirs…
Vers 20 heures, je fus conduit par le sous-lieutenant Chérif ould Krombolé dans un local situé au rez-de-chaussée du bâtiment des services de transmissions où je fus enfermé. Là, en attendant la suite des événements, je m’installai sur le lit qui s’y trouvait. À 23 heures la porte s’ouvrit. Un soldat entra, déposa un plat de frites avec viande. C’était mon dîner. Sans trop verser dans l’optimisme, je notai que c’était là un bon signe…Car, quand les choses se gâtent, le manger, quand il existe, n’est jamais aussi « copieux »…
Le capitaine Hady était là, assis. À sa gauche le capitaine Mohamed ould Meguet (notre promotionnaire à deux). En face d’eux, assis sur des chaises, une demi-douzaine de jeunes lieutenants. Parmi eux, le seul que je connaissais pour avoir servi en même temps que moi à la 2ème région militaire, était le lieutenant Mohamed ould Cheikh. D’emblée, je compris que j’étais devant une commission d’enquête que présidait le capitaine Hady. Capitaine Hady, président d’une commission d’enquête ! Le voilà tout entier dans une carapace qu’il affectionne : commander, être au premier plan, disposer du sort des autres. Mais pour lui, l’exercice du commandement est synonyme de domination, d’écrasement, d’humiliation. Ceux qui étaient sous ses ordres, à moins de s’imposer par leur allure, leur personnalité, devenaient plus objets que subordonnés. Que dire alors de ceux dont il disposait – du moins le pensait-il – du destin, par l’entremise d’une commission d’enquête ? Il ne tarda pas à me confirmer que j’avais bien affaire à une commission d’enquête. A peine avais-je fini, du regard, de faire le tour de la salle et de ses occupants, que sur un ton sec et méprisant, il me lança à la figure plus qu’il ne me questionna : « Quels sont les officiers qui étaient avec toi dans le coup d’État ? » Je relevais mentalement le tutoiement qui, de sa part, en l’occurrence, dénotait plus de l’inconsidération proche du mépris que de la familiarité. Je répondis que je n’avais pas connaissance de coup d’État. Et que j’ignorais ce qu’il disait…
Alors, le visage renfrogné, il prit un papier posé sur une table qui se trouvait devant lui, et se mit à lire les noms des lieutenants Sarr Amadou, Diacko Abdoul Kerim, Kane Mamadou, Sy Saïdou. Puis me demanda si je les connaissais.
- Oui, dis-je, je les connais tous, excepté le lieutenant Kane Mamadou (que je ne connaissais pas encore).
Sur ce, agacé par l’impassibilité que j’affichais, et comme outragé par ce qu’il croyait être une contradiction entre ma première et ma seconde réponse, il cria plus qu’il ne m’interrogea : « Tu les connais et tu dis ignorer le coup d’État qu’ils préparaient ? »
- Je les connais comme je connais certains d’entre vous ici présents, dis-je. Mieux certains d’entre vous sont même mes amis. Mais de tout ceci il ne découle pas que je suis au courant d’un coup d’État…
- Ecoute Boye, ne fais pas le malin. Tu as intérêt à avouer. Tes amis l’ont déjà fait…
- Je répète, lui dis-je, en martelant posément chaque syllabe, que je ne sais rien de ce coup d’Etat. Ensuite, je te rappelle, car tu sembles l’oublier que tu parles à un officier auquel tu dois un minimum de correction.
Ces propos formulés sur un tel ton, semblèrent avoir piqué son amour-propre. Il les perçut comme une offense, une bravade.
Brusquement, il se leva de sa chaise. Furieux, il vociféra : « Debout ! » Et comme je restais assis, il hurla « debout ». Sur invitation du capitaine Meguet qui s’interposa entre le capitaine Hady et moi, je me levais. Se rapprochant de moi, il me dit :
- Tu n’es rien du tout. A partir de maintenant, je peux tout de suite te retirer tes galons.
- Fais-le donc, si tu le peux, répondis-je tout en le fixant d’un regard dur. »
Quelque part, en Afrique centrale, il existe des « Oualata » équatoriaux ! Nos petits enfants liront peut-être un jour les récits de ceux qui y sont emprisonnés, même si on s’évertue de raconter qu’il n’y a pas de prisonniers politiques « ici » !
LLK
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