Le Droit de vivre sa vie : un crime contre l’humanité (bien pensante ?)
Etonnante escalade de l’homophobie dans une Afrique où l’acceptation de l’autre dans sa différence est devenue un vain mot. Cameroun-Ouganda-Zimbabwe-Nigéria, etc. etc. Au total 38 pays d’Afrique, sinon plus considèrent l’homosexualité comme un crime. L’Afrique du Sud est l’un des rares pays qui refuse toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle de ses citoyens. Hélas, bien que ce principe soit inscrit dans la Constitution, la réalité est tout autre. Des médias ont relayé le cas de cette jeune femme violée puis assassinée simplement parce qu’elle était lesbienne ! Et, ce n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Tout se passe omme s’il n’y avait pas de sujets plus importants, plus pressants pour les chefs d’Etat que de s’occuper de la libido de leurs citoyens alors que dans le même temps, nombre de nos dirigeants n’hésitent pas à exposer la leur ; certains vont jusqu’à vanter « libidiquement » leurs exploits. Différents pays ont adopté ou présenté aux instances législatives de leur pays, des textes de lois légalisant l’homophobie. Par un effet de mode, sans aucun doute. Signe sans conteste qu’ils ignorent ou feignent d’ignorer l’existence, depuis très longtemps pour ne pas dire toujours, de ces façons d’aimer dans leur pays.
Je voudrais partager avec vous quelques unes de mes rencontres avec des personnes que l’on stigmatise, renie, et aujourd’hui pénalise, parce qu’elles veulent vivre différemment de la majorité d’entre nous. Des tranches de vies ordinaires de personnes ordinaires qui ne font de mal à personne : au nom de quelle morale les condamner ?
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Issigou, l’homme-femme. J’étais à peine une adolescente en 1964 lorsque mon père décida enfin de nous faire découvrir (à mon frère et moi) le « pays » de sa naissance où il avait vécu jusqu’à l’âge de 16 ans avant de s’en aller vers d’autres cieux à la recherche de sa propre vie. Il nous emmena à Owando (à l’époque Préfecture de la région de la Cuvette congolaise) où nous restâmes environ un mois. C’est alors que j’entendis parler d’Issigou. Cet homme qui se voulait femme et menait une vie de femme. Etait-il transsexuel, homosexuel ou bisexuel ? Je ne saurais le dire. Les faits parlaient d’eux-mêmes : Issigou se faisait natter les cheveux comme toutes les femmes de la région. Issigou portait des pagnes comme toutes les femmes du pays. Issigou allait aux champs qu’elle cultivait comme toutes les femmes. Issigou vendait les produits de ses champs le jour et en fin d’après-midi vendait son « tsamu-tsamu » (vin de palmier raphia) comme certaines femmes du coin. Issigou allait à la pêche à la corbeille en compagnie des femmes de la localité. Quand il y avait un deuil dans la localité, Issigou dormait sur sa natte à l’instar de toutes les femmes et se joignait aux pleureuses des jours durant selon la tradition. Tout Owando comme toutes les localités environnantes connaissaient Issigou. Tout le monde respectait, tolérait le choix de vie d’Issigou mais tout en faisait des gorges chaudes. C’est ainsi qu’enfant j’entendis parler d’Issigou.
Un jour, voyant Issigou passer non loin de notre concession, ma cousine me fit signe de la rejoindre dans la rue pour voir Issigou de mes propres yeux. Je découvris un être humain pareil à tous les êtres humains, bâti comme un athlète moyen, le port de la tête altier comme de nombreux hommes ou femmes n’en ont. Ma cousine le salua, salut auquel Issigou répondit accompagné d’un large sourire, d’une voix naturelle bien qu’efféminée à outrance.
Issigou était une femme ou un homme libre dans sa tête comme en son corps. A Owando, tout le monde savait qu’Issigou recevait des visites nocturnes qui s’en allaient au petit matin, en se faufilant entre les cases. La journée, les récits circulaient sur les ébats d’Issigou avec ses visiteurs nocturnes.
Qui était alors hypocrite ? Issigou ou les personnes qui lui rendaient visite nuitamment ?
Issigou est mort un jour là-bas à Owando, comme tous les humains, après avoir souffert comme tous les êtres humains. Certains l’ont peut-être oublié depuis. Moi, je le garde dans mes souvenirs d’enfant. Et, malgré cette sorte d’insouciance, de « je m’en foutisme » qui était une partie de sa nature, j’imagine ce qu’il a dû souffrir au fond de lui de ne pas avoir été pleinement accepté socialement, d’être toujours montré du doigt.
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Magloire, parti trop tôt pour avoir vécu la sienne de vie. Quelques années après avoir connu Issigou, je faisais la connaissance d’un enfant à Brazzaville, Magloire. Un enfant, parmi tant d’autres enfants à qui j’enseignais le catéchisme. Il devait avoir 8 ans. Ou peut-être même 10. Il préparait sa première communion avec moi. Il avait en lui cette joie de vivre qui irradie comme une lumière boréale. Il avait un corps de petite fille et préférait de loin la compagnie de ses petites camarades que celle des garçons qui, sans cesse, se moquaient de ses manières efféminées. Magloire m’aimait comme une grande sœur. Mais je restais pour lui « Mademoiselle » comme me désignaient tous les catéchumènes. Ce mot dans la bouche de Magloire prenait une toute autre dimension affective faite de respect, d’admiration et sans aucun doute reflétait le besoin d’un amour familial qui lui faisait défaut. Nous faisions presque tous les jours, y compris les dimanches, la route ensemble de notre quartier à l’église et de l’église à notre quartier. Il aimait me raconter des histoires drôles ; des histoires d’enfant et trouvait de la joie à me voir rire de ses histoires en me donnant une tape sur le bras ou sur l’épaule.
Puis, un jour, je quittai mon pays pour de longues années. L’éloignement aidant, je perdis le contact. Magloire entretemps était devenu un homme. Sûrement un bel homme. Un jour, alors que j’étais rentrée au pays pour des vacances, ma mère m’annonça d’une voix triste, que celui pour qui j’étais presque une mère, puisqu’elle le désignait par « ton fils » quand elle me parlait de Magloire, était mort. Selon la rumeur, il aurait succombé au VIH. En écrivant ces lignes, je revois encore Magloire, de sa petite voix, me prendre par la main et me dire : « Mademoiselle, je vais te raconter une histoire, mais il faudra vraiment rire » !
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Johann, Gert et Jeroen : mes années parisiennes. Jeune mariée avec deux enfants en bas âge, tiraillée entre les cours à l’université, les tâches ménagères et un job volontaire pour ne pas dépendre entièrement de mon époux, je fis la connaissance, lors d’une conférence à la Mutualité (Paris), d’un groupe de stylistes nordiques excellant dans la mode et la coiffure. Nous nous liâmes d’amitié. Je les invitai un jour chez moi pour un repas africain. Ils eurent vite fait de remarquer les tâches ménagères, domestiques et estudiantines sous lesquelles je croulais. Ils se portèrent volontaires pour m’aider pour le lavage et le repassage du linge familial, à chacune de leur descente sur Paris. Cette amitié, leur assistance inconditionnelles et désintéressées, durèrent jusqu’au moment où je quittai Paris pour d’autres destinations.
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A Dakar (Sénégal) où j’ai vécu pendant 8 années, j’eus un grand ami dont on ne connaissait aucune relation féminine. Les ragots disaient qu’il aimait les hommes. Il arrivait souvent que, lors d’une sortie en groupe, des ami(e)s proches lui lancent des piques du genre : « qui n’aime pas les femmes, aime les hommes ». Pourtant, il était un ami et il nous aimait bien nous ses ami(e)s. Ces remarques déplacées venaient de personnes amies qui auraient dû faire en sorte qu’il se sente à l’aise parmi nous, mais ne sont jamais venues à bout de l’amitié qu’il nous portait et du fait qu’il continuait à être et à sortir avec nous.
Il se trouve que dans ce pays où ils sont nommés « Gor Jigen » ce qui signifie en langue Wolof « homme-femme », ils doivent subir le même sort qu’en Gambie, en Ouganda, au Cameroun. J’ai assisté à des danses (sabakh – tam-tam) qu’ils organisaient dans le quartier dakarois de Colobane. Alors que les femmes les encourageaient et applaudissaient telles des supporters lors d’un match de football, les hommes et les enfants, notamment les garçons, leur lançaient des pierres. Le sabakh, expression de jouissance pour tout le monde dans ce pays, se terminait généralement ainsi, en débandade. Simplement parce que certains avaient décidé que les « Gor Jigen » n’avaient pas le droit de s’amuser ni de se réjouir comme n’importe qui, comme tout le monde.
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Aziz est un jeune camerounais rencontré dans un salon de coiffure dans une ville d’Afrique centrale. Il avait la beauté d’un ange, la grâce d’une princesse (bien éduquée s’entend, car il y a des princesses sans grâce et sans éducation). Aziz avait des mains magiques. Coiffeur, il était plutôt un artiste qui savait jongler avec les cheveux des dames pour les transformer en œuvre d’art. Seul élément du genre masculin de ce salon, Aziz s’était fondu dans l’équipe à tel point que lui et ses collègues se racontaient blagues et histoires de femmes sans distinction. Les clientes du salon, tout comme ses collègues d’ailleurs, étaient très aimables avec lui et n’avaient pas tendance à le traiter avec différence. J’étais devenue sa cliente préférée et il m’appelait affectueusement « Ma maman ». Un jour, arrivant au salon, je trouvai Aziz, non pas travaillant activement comme d’habitude, mais affalé dans un des fauteuils sur lesquels les clientes attendaient leur tour pour se faire belles. Visiblement, il avait l’âme en peine. Il se leva sans enthousiasme pour s’occuper de moi. Pendant qu’il me faisait un shampooing, je ne pus me retenir de lui demander ce qui n’allait pas. C’est alors qu’Aziz m’ouvrit son cœur. Un cœur brisé par la douleur que cause toute rupture amoureuse d’avec son ami. Ses collègues, toutes discrètes parce qu’ayant remarqué, elles aussi, que quelque chose n’allait pas bien chez lui, suivaient, sans trop le montrer, le récit qu’il me fit en détails de cette triste histoire. Je l’écoutai avec grande attention et, à la fin, il conclut son récit en ces termes : « Maman, les gens ne comprennent pas que nous sommes de chair et de son sang et que comme tout le monde, nous avons un cœur qui peut saigner ». Je me levai après les soins, le pris dans mes bras, l’embrassai et lui dis : « Ils ont tort ! Celui qui ne reconnaît pas la souffrance de son prochain n’a jamais connu de souffrance » ! Aziz poursuit son existence, tel que le veut son destin, sans hypocrisie, sans complexe, travaillant comme tout le monde pour gagner sa vie. Le reverrai-je un jour ? Dieu seul sait !
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Et les autres … Jacmel. En Haïti, on les nomme « Massissi ». Ou alors, on les qualifie de « 66 » pour parler masqué. Lors du défilé carnavalesque de Jacmel, je vis arriver une personne sur une moto, klaxonnant à vous percer le tympan, comme si elle voulait attirer l’attention de tout le monde. Elle était maquillée comme si elle allait participer à une élection de Miss beauté. Elle portait des vêtements moulants qui mettaient en exergue les lignes régulières de son corps. Difficile de savoir s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Puis il en vint d’autres, par deux sur leur moto. Ce n’est qu’à ce moment-là que je me rendis compte de qui il s’agissait. Je me mis à les applaudir. Ils me firent un signe de la main pour me saluer et me gratifier de leur reconnaissance à mon endroit car j’étais la seule sur le stand à les applaudir. Prétention de ma part ? Peut-être ! Mais j’étais contente d’avoir applaudi, ne fut-ce que pour leur montrer que dans un contexte hostile à leur choix de vie, qu’il existe bien des personnes qui sont d’avis qu’il faut les laisser vivre leur vie.
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Partout où je suis passée dans le monde au cours de ma vie, j’en ai connu de ces hommes et femmes qu’aujourd’hui on criminalise à tout va, simplement parce qu’ils osent être ce qu’ils sont. Je me suis toujours bien entendue avec beaucoup de ces personnes, et ils font pleinement partie de ces rencontres que je chéris et que je n’oublierai jamais. C’est probablement là le résultat d’une éducation forgée à travers toutes sortes de lectures qui m’ont appris une leçon qui m’accompagne chaque jour : « La plus grande tolérance dans la plus stricte indépendance ».
Je suis choquée par ces chefs d’états, ces religieux et hommes de pouvoir qui voient en ceux qui ont choisi une vie différente, une certaine menace, pourtant inexistante, pour la société. Les délinquants sexuels se sont eux avec leur libido déchaînée, eux qui ne se gênent pas pour épouser plusieurs femmes, tromper leurs épouses, avoir des maîtresses dans toutes les villes, détourner des jeunes étudiantes, des mineures et même pratiquer la pédophilie.
Je remarque que les plus virulents contre ces personnes, qu’il s’agisse d’Issigou, de Magloire, d’Aziz ou des « Gor Jigen » sénégalais, ou des autres, étaient ou sont généralement les hommes. Les femmes se montrent parfois plus positives et offrent un certain soutien nécessaire. Mais, les débats en France sur le mariage pour tous ont permis de constater que certaines sont aussi très virulentes à ce sujet. Sûrement il y a la pression sociale qui ne facilite pas toujours un soutien plus grand.
Je reste toutefois convaincue pour ma part que les questions des droits humains en générale et des droits des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) en particulier, ne peuvent progresser réellement que si les droits de femmes avancent. La haine des chefs d’Etat africains à l’égard des LGBT ne peut s’expliquer que par la peur qu’ils ont de voir une frange de la population vivre en toute liberté et échapper ainsi à leur contrôle. Peur du reste injustifiée !
Je conclue ces lignes en lançant, au lecteur, un appel à réagir, et en rappelant les paroles de Mgr Desmond Tutu, le très célèbre archevêque anglican sud-africain, prix Nobel de la Paix :
- « Les différences ne sont pas censées séparer, aliéner. Nous sommes justement différents afin de comprendre que nous avons besoin les uns des autres. »
- « Nous sommes tous des êtres humains. Les homosexuels, comme tous les êtres humains ont des dons, ils peuvent devenir juges, ils peuvent accomplir toutes sortes de choses merveilleuses ».
- « Puisque nous considérons que l’amour concerne tout l’être et pas seulement la dimension sexuelle, et qu’il ouvre au don de soi et à la compassion, quelles raisons aurions-nos de croire que cette qualité doit être réservée aux couples hétérosexuels » ?
- « Si Dieu, comme ils le disent est homophobe, je ne rendrais pas de culte à ce Dieu ».
Nyélénga
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