Grand-mère qui ne veut pas mourir ignorante
Après une journée entière passée à regarder couler, bondir, rebondir et se fracasser les eaux du Niagara, nous décidâmes de repartir pour Toronto où nous devrions passer la nuit dans une maison que Grand-mère s’était donné tant de mal à réserver sur AirBnB. La maison était tellement lugubre qu’en y arrivant mon frère décida de la purifier en pissant directement dans le talus de plantes situé à l’entrée principale, au grand dam de mon père et malgré les cris outrés de ma mère. Seule Grand-mère se réjouissait de cet acte de mon frère !
Une fois dans la voiture, notre père mit le GPS dont nous devrions suivre les indications jusqu’à Toronto. Le GPS proposa plusieurs trajets et notre père choisit le trajet le plus court.
Mal nous en avons pris. À notre insu, le GPS nous fit pénétrer dans le territoire des États Unis.
À peine avions nous franchi la frontière qu’à notre grand étonnement nous fûmes arrêtés par agent des services frontaliers américains. Il nous demanda où nous allions. Notre père qui conduisait la voiture lui fit comprendre que nous nous rendions à Toronto. L’agent nous fit remarquer que nous venions de pénétrer aux États-Unis et exigea de voir nos passeports. Tout le monde obtempéra et les passeports se retrouvèrent entre ses mains. Du fond de la voiture où j’étais assis coincé entre ma mère et ma tante, je crus que le policier allait s’évanouir. Je pense qu’il découvrait pour la première fois de sa vie, une famille aussi disparate que la nôtre : d’abord une grand-mère congolaise, un père camerounais, une tante belge, une mère congolaise comme la grand-mère, mon frère italien et moi – même canadien. Le policier n’en croyait pas ses yeux. Il se pencha vers notre père et ne put s’empêcher de poser la question qui lui brûlait les lèvres : « C’est vous le père des enfants ? »
C’était sans compter avec Grand-père qui ne laissa même pas à notre père le temps de répondre ! « I am the Grand-mother of all this people » fit-elle dans un Anglais à l’accent de Gambie à faire braire un âne !
Le policier cligna des yeux et murmura : « Avancez votre voiture, parquez-la là (il montra l’endroit) et attendez-moi ! »
Il s’en fut dans un des bureaux de la police des frontières avec nos papiers.
Au bout de cinq minutes, Grand-mère ne tenant plus sur place, décida qu’elle devait se faire photographier avec un des policiers en faction devant les bureaux du service des frontières. Elle décida de la voiture avant que les autres membres de la famille l’en empêchassent. Nous la vîmes s’approcher du policier avec son appareil photo. Nos yeux étaient tous rivés sur Grand-mère et le policier. Quand nous vîmes le policier secouer la tête de gauche à droite, nous comprîmes que la requête de Grand-mère venait d’être rejetée. Elle revint nous rejoindre dans la voiture, penaude ! Tout le monde riait, se moquait d’elle et de sa tentative échouée.
Mais c’était méconnaître notre Grand-mère dont le leitmotiv que nous avions déjà intégré à l’esprit depuis le berceau était : « Je ne veux pas mourir ignorante ! »
Aussi, devant le refus du policier de se faire photographier avec elle ; elle visa une policière qui eut le malheur de passer juste à côté de notre voiture.
Grand-mère la héla et lui demanda pourquoi on nous faisait attendre. La policière lui répondit que nous étions en territoire américain. Et comme notre Grand-mère avait des yeux qui furetaient partout ; elle vit un panneau où il était écrit County of New York. Elle bondit sur l’occasion pour sauver sa dignité bafouée par le refus du policier de se photographier avec elle.
« Are we in the real New York?” fit-elle. Comme s’il y avait un faux et un vrai New York ! Non pas qu’elle ne sache pas faire la différence entre New York City et the County of New York, mais elle avait décidé de se venger du premier flic pour son refus de la photo souvenir !
La policière écarquilla les yeux : « Yes you are in the County of New York”
Et Grand-mère de renchérir : « Really ? Is Manhattan not far from here ?”
À l’arrière de la voiture mes parents, ma tante et mon frère ne purent s’empêcher de la « ramener à la raison » : « Mais enfin maman ! Arrête avec tes histoires et concentre-toi sur nos passeports ! »
Sur ces entre-faits, le premier policier resurgit du bureau et remit les passeports à mon père tout en gratifiant Grand-mère : « Congratulations Ma’am ! » plein de sous-entendus !
« I know, my family is international ! We are à l’heure de la globalisation ! »
Mon père ne put que dire « Maman ! Toi vraiment !
Ma mère : « Maman, tu as raison ! »
Ma tante : « Maman, tu ne changeras donc jamais »
Et mon frère et moi : « Mais oui, Grand-mère ne veut pas mourir ignorante ! »
Notre voiture s’ébranla pour retraverser la voiture et retrouver la route de Toronto sans avoir à pénétrer par effraction involontaire dans le territoire des États-Unis d’Amérique !
Z...Le Petit Fils de Grand-mère.
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