Extrait de "J'ATTENDS MON MARI" de Karim Deya
"J'ATTENDS MON MARI" de Karim Deya: un oeuvre qui fracasse les tabous!
En "entrée" voici ce qu'en dit Assita Sidibé, lectrice et critique litéraire:
"J'ai lu une oeuvre
Quelle oeuvre! Un classique.
Plus je lisais, plus des questions me trottaient dans la tête. Oui, je me demandais comment un humain pouvait faire une telle parturition. Il eut fallu qu'il soit un Thot. J'avoue avoir été subjuguée. Depuis, je ne cherche plus la fascination uniquement dans les lieux. Ce chef-d'œuvre dissimule une mémoire stratifiée dans le temps, par superpositions, des noeuds visibles, des couleurs qui scellent les différences, des sensibilités subtiles, des déplacements infinitésimaux entre apparences qui confondent et petits abandons...
Il n'est pas nécessaire de les voir ni de les toucher pour savoir qu'ils existent, qu'ils sont là pour délimiter le voyage. Assurément , il y aura d'autres voyages et d'autres retours avec Karim Deya.
A. S"
Et voici le plat de résistance, du moins un extrait, rien qu'un extrait, un infine extrait du chef d'oeuvre!
« J’étais intarissable. Devant moi, Moctar s’était transformé en une sculpture d’Indiens des Cinq –Nations, taillée dans le meilleur bois de l’Ontario, polie, somptueuse, figurative, trop réaliste on croirait douée de vie et sur le point de m’offrir une gerbe de mimosas.
- Je comprends les sentiments qui t’animent, dis-je à la sculpture iroquoise, cette houle de découragement qui marque au fer chaud les hommes affaiblis et les pousse à s’installer dans des canapés d’emprunt, dans l’oubli des espoirs à nourrir de sucs jeunes et des bonds individuels qui permettent de réinventer sa vie à chaque étape. Je comprends donc tes sentiments, mais j’ai envie de t’interdire d’être « normal », de t’enfermer à double tour derrière les barreaux des idées reçues, d’ériger des barrières artificielles entre ce que tu es vraiment et ce que la société voudrait que tu sois…Et puis, qu’est –ce donc que la normalité en soi ? Un simple petit pain béni que les religions font multiplier depuis la nuit des temps dans le désert des cervelles tendres. La normalité est un bréviaire d’usages et de tabous comportementaux, né le plus souvent des mythes et croyances en vigueur dans une société donnée, quoique certaines dispositions normatives semblent avoir une résonnance universelle. La normalité est une tentative de formatage des élans humains, séculairement admise par les sociétés comme l’étalon de ce qui est humainement digne. C’est une atrophie de nature essentiellement religieuse inculquée au censeur ontologique qui est en chaque homme et que les philosophes ont appelé courtement « la conscience ». La normalité est la mère des totems ; c’est aussi l’amante saphique de la coutume qui lui prodigue au fil des siècles d’exquises feuilles de rose. C’est la normalité qui se cache dans la raideur de la soutane du curé et donne cette prestance inquiétante aux messes blanches. C’est la normalité qui fait voltiger les boubous pieux lors des génuflexions des prieurs mahométans. C’est elle la conceptrice de la charia, des sept péchés capitaux et des huit vertus chrétiennes ! C’est la normalité qui tapisse le seuil des synagogues en manière d’un sentiment de culpabilité qui met bas ensuite, par ricochet, une vilaine portée de sornettes antisémites. Parce que la normalité, dans sa propension à vouloir tout uniformiser, opère une craquelure sournoise dans la fondation de l’être. C’est au nom de la normalité qu’ont pignon sur rue les mensonges conjugaux et les félonies sous le boisseau. C’est sous le couvert d’une certaine idée de la normalité que l’on se fait aux quatre coins du globe de très belles guerres, saintes ou pas saintes, avec délices militaires, charniers en règle et bruits de bottes corrects. C’est au nom de la normalité du moment qu’on baise avec passion d’odorants pieds nazis, qu’on lèche de bon cœur de lourdes couilles racistes et qu’on institue, en passant, des bastilles au coin des avenues. C’est la normalité qui tricote la maille des relations superficielles et des bonjours-bonsoirs sans profondeur. Sous le haut patronage de la normalité s’en va sans remords à confesse le plus odieux assassin du mardi soir. Sous l’égide de la normalité se voit saluée l’arrivée de la dîme mensuelle de la belle-de-nuit qui court chaque soir les passes sanctifiées le long des grands chemins putassiers. En fait, Moctar, la normalité est cette sorte de pierre adamantine montée sur anneau d’or que mon regard impressionné intercepte dans la vitrine des joailleries sociales. Mais très vite, après analyse, le gemmologue qui est en moi se rend compte que cette pièce à l’apparence si flatteuse n’est qu’un truc bidon qui est bien loin de faire les carats escomptés, un truc juste bon pour meubler la vitrine commerciale des sociétés. La question essentielle qui devrait se poser à toi en tant qu’un être humain est de te demander à cru ce que tu aimes vraiment, ce que tu veux, de cultiver en conséquence ta propre profondeur sans marcher sur les autres, en cherchant l’implacable réponse supra-normative dans les ressources de ton propre cœur. »
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