Qui vient de loin (Ewur'osiga). Le Blog d'Alfoncine N. Bouya

Qui vient de loin (Ewur'osiga). Le Blog d'Alfoncine N. Bouya

« Afin que tu te souviennes » l’autobiographie d’Emilie Flore Faignond

Elle revendique haut et fort sa « congolité » et se dit « congolo-congolaise ». Se dit ? Que non ! Elle est une « congolo-congolaise » qui vit très bien sa double congolité.

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Emilie Flore Faignond: la congolo-congolaise.

Dans son livre paru aux éditions Paulo-Ramand, Emilie Flore Faignond plonge le lecteur dans son enfance d’abord puis dans son adolescence et, dans sa vie de femme sur les deux rives du majestueux fleuve Congo, le huitième plus long fleuve du monde mais le deuxième pour son débit, après l’Amazonie.  Ce fleuve est l'ancrage de son identité  en terre africaine, comme elle l’écrit : « …le fleuve, le fleuve Congo, le majestueux, l’indomptable. Ses eaux me fascinaient. Si j’étais africaine, c’était d’abord par ce fleuve puissant. Je savais lui appartenir…toujours. Il était racine, il était fleuve géant. Intarissable, ses pas résonnaient sur le bouclier de feu de la terre d’ébène.  Ses rives diaprées offraient une mosaïque de paysages qui enchantait mon âme d’enfant. La nature se livrait à moi dans toute sa splendeur et son ampleur. »

Dès le début du livre Emile Flore que les siens, ses proches nomment Milou campe les racines qui porteront l’enfant qu’elle a été pour en faire la femme qu’elle est.

Tranches de vie. Souvenirs incrustés à jamais dans sa mémoire. Le temps qui pourtant érode tout, vient à bout de tout, n’a pas pu effacer ces paroles que sa grand-mère Bajana avait semées en elle comme on sème une graine d’arachide ou de maïs dans une terre fertile: «  Le fleuve, me disait grand-mère, est la plus belle création du Bon Dieu sur notre terre congolaise. Il est là depuis la nuit des temps. Il est notre mémoire, notre passé, notre avenir. Il est la vie. Regarde ses alluvions sur les berges. Ecoute le bruit des flots. C’est magique ! La lumière du soleil inonde son onde claire, éclabousse le ciel! Une pluie de poussière d’or ! Quel éblouissement ! Entends et, où que tes pas te mènent, n’oublie jamais le grand fleuve. »  Tandis que la mère mettait sa fille en garde contre ce fleuve qui savait et sait aussi prélever son tribut auprès des imprudents et des inconscients : « Le fleuve est beau, mais il ne faut le toucher qu’avec vos yeux ». Je crois entendre les mises en garde de ma mère contre ce fleuve après la disparition de trois jeunes camarades, emportés par les eaux tumultueuses alors qu'ils s'y débattaient dans l'insouciance de l'enfance! (C'est sûrement la raison pour laquelle je n'ai jamais su nager jusqu'à un âge très avancé!!!). Car, le grand fleuve séduisant peut s'avérer impitoyable.

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Une vue de Sa Majesté le Fleuve Congo.

Et la petite fille devenue femme de poursuivre : « Au fil des années, je puisais dans ses paroles mon amour infini pour ce fleuve insolite charriant ses eaux entre les deux rives jumelles, où j’allais passer les plus belles années de ma vie ».

Emilie Flore raconte son histoire, l’histoire de sa vie dans un style clair, simple, accessible, sans fioritures. Un style qui ravive en nous des souvenirs que nous croyions disparus mais surtout la place, le rôle et la tendresse de nos grands-mères, qui, dans ces années-là, comme le voulait la tradition, étaient plus importantes que nos mères ! De cette grand-mère, elle n’a rien oublié : du « cliquetis des ziguidas », ces chapelets de perles que toutes femmes, petites ou grandes, jeunes ou vieilles portaient autour des reins, au « bal des kitambalas fleuris des femmes congolaises ». Ici, une pause s’impose pour signaler aux jeunes générations (n’est –ce pas là le but du livre de Milou – Afin que tu te souviennes !) que, dans certains pays africains, le ziguida était et est encore plus important qu’une culotte ! Une femme sans ziguida c’est comme une femme nue ! Ceci, sans exagération.

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Deux variétés de Ziguida

 

Quant aux kitambalas, ces foulards dont se paraient et se parent la majorité des femmes africaines pour se couvrir la tête, ils signent la marque de l’élégance. En écrivant ces lignes, les larmes me viennent aux yeux car ma mère à moi était une experte dans l’art de nouer et de porter les kitambalas, un art que moi sa fille (pour dire la vérité) ne suis jamais parvenue à maîtriser. De nos jours, les plus grandes expertes du port du kitambala sont les Nigérianes.  

 

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Femme portant un Kitambala. Courtoisie de WWW. dupsies.com

C’est dire que le livre d’Emilie Flore Faignond n’est pas seulement une autobiographie, il est la biographie de toute une génération.  La génération de ceux et celles qui ont connu les turbulences de la période de l’indépendance des deux Congo et celle qui a suivi l’indépendance, mais qui, à cause de leur jeunesse ne pouvait pas saisir les enjeux politiques qui se jouaient, enjeux qui fixaient à jamais le destin cahoteux des deux pays jumeaux, nourris par le même sein : le fleuve ! Ce qui fait dire à notre Amie : « Je ne comprenais pas toutes les mésententes politiques, idéologiques et autres qui divisaient ces deux peuples frères ; un seul fleuve baignait les rives des deux Congo ; il y déposait ses alluvions, leur offrait la richesse de ses flancs, et les hommes se servaient de ses flots généreux comme barrière… ». (Je revois le lecteur à mon article du 5 février 2014: « Un fleuve, deux pays »). Dire que longtemps nous avons chanté: "Ebalé ya Congo, ezali lopango té ézali sé nzila! ( le fleuve Congo n'est pas une frontière, c'est une voie de passage).

Dans ce langage clair, simple et sans fioritures, Milou nous raconte ses premiers pas dans la vie adulte : ses premières amitiés, ses premiers amours, ses premières déceptions, mais aussi ses premières prises de conscience et ses premiers élans politiques stoppés nets  par la crainte d’un père soucieux de l’avenir de son enfant dans un pays où se prononcer en politique rimait avec s’exposer à des dangers certains: « Tu n’as plus à te mêler ni à prendre position dans les décisions gouvernementales, que ce gouvernement soit prorusse, anticatholique et tout le bataclan, ce n’est pas ton problème ! ». Eh oui, chère Milou, telle était la réaction de nos pères (qui se connaissaient et, certains se souviendront de Nganda Faignond comme de Carrefour du Congo-Bouya Bar), parce qu’ils tenaient à nous, parce qu’ils voulaient nous protéger, parce qu’ils nous aimaient.

La tâche étant difficile de résumer en quelques pages le livre de toute une vie, (une partie de vie), un livre de 691 pages, il ne me reste plus qu’à recommander aux lecteurs de se le procurer et de prendre le temps de le savourer comme un enfant qui savoure le matin, un plat de mikatés  (beignets) accompagnés de poto-poto ya masango (bouillie de maïs).

Nyélénga

 



19/01/2015
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