Morceau choisi de: Brazzaville, ma mère de Bedel Baouna
Mardi 22 décembre 2009, 11h
Je m’ennuie un peu, je tourne en rond. Il faut donc que je m’occupe. J’arpente les lieux, fais quelques brasses dans la piscine et quand j’appelle le personnel pour avoir une serviette je m’étonne de ne trouver personne. Mais c’est, c’est vrai, les deux employées de maison sont absentes : c’est leur jour de repos – elles le méritent d’autant plus que samedi et dimanche elles ont travaillé toute la journée, douze heures sur vingt-quatre. Les fêtes de fin d’année approchant, le maître d’hôtel, lui, s’est envolé pour Paris : il manque tant de choses à la maison. Il récupérera par la même occasion les vêtements de ma mère déposés deux mois plus tôt dans une teinturerie de la place Victor Hugo. D’habitude, un simple texto suffit pour que, trois jours plus tard, la marchandise arrivée : des centaines de kilos de fruits, du porc fumé, des steaks hachés… Pour la fête de Noël de l’année dernière, Maman avait commandé un sapin frais à Paris, boules, crèche et guirlandes, pour un coût total de 1500 euros ; Dame mère, pour son plaisir, les nsaka – la grande ambiance -, les blagues, de rien ne sait se priver. A cette époque, un SMS avait suffi. Mais depuis peu, probablement pour tenir son rang, plus besoin de commande. C’est son homme de confiance qui effectue voyage et courses à Paris.
Je prends sur moi de faire la popote. Pour toutes les deux, ce sera poisson capitaine, que l’on appelle ici Le Blanc aime les impôts. Ma mère raffole du capitaine, assaisonné d’oseille et de fines herbes, avec Femme sorcière – un piment très piquant- dont elle ne saurait se passer. Sans doute attirée par l’odeur du poisson, elle me rejoint en cuisine. Où était-elle ? Je l’ignore. Elle débouche sans façon tenant une bouteille de vin blanc et en remplit à ras bord nos deux verres. Nous trinquons. Ma mère a visiblement envie de parler. Sur un ton doux, je l’informe de ma pressante envie :
— Boxer contre la langue et l’écriture sera désormais ma tâche quotidienne…
Son regard passe de la casserole à mon visage : « Commence donc par mettre en scène ta propre vie », lâche-t-elle.
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