Qui vient de loin (Ewur'osiga). Le Blog d'Alfoncine N. Bouya

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Extrait du « Journal d’un Révolutionnaire » de Gérald Bloncourt

« La lourde porte du 44 rue Le Pelletier se referme avec un bruit sourd. Je tends ma convocation.

-          Une minute camarade.

L’homme qui m’a introduit se dirige vers un autre qui se tient exactement, comme la première fois, les bras croisés sur la poitrine. Devant la même porte close. Ils échangent quelques propos à voix basse et se dirigent vers moi.

-          Un instant, camarade.

L’un d’eux s’empare d’un téléphone.

-          Allô ? ici le hall, camarade. Le camarade de Haïti vient d’arriver…Comment ? Non Tahiti, mais Haïti avec un H ! Bien, camarade.

Il m’invite à le suivre. L’ascenseur poussif s’arrête au premier étage. Deux militants montent la garde dans le vestibule.

-          C’est le camarade de Haïti. C’est pour le camarade…

Et il lui chuchote secrètement à l’oreille le nom de celui qui doit me recevoir, dont je connais le patronyme puisqu’il a signé ma convocation !

-          Par ici, camarade.

Mon guide ouvre une porte au fond du couloir.

-          Voici le camarade de Haïti, répète-t-il une fois de plus.

La pièce est sombre. Mal éclairée par une modeste lampe de bureau. Les volets sont fermés. Ils laissent passer des stries du jour gris pesant sur la ville. Le personnage qui me reçoit est plongé dans un énorme dossier. Il n’a pas l’air de se rendre compte qu’il a un visiteur. Il continue à tourner des pages qu’il annote soigneusement. Il ne daigne même pas s’apercevoir de ma présence. Les  minutes coulent. J’examine la pièce austère. Juste au-dessus de sa tête un immense cadre où figure l’effigie de Marx, Engels, Lénine et Staline assemblés de profil, en un affreux polychrome. De part et d’autre sont installées les photographies de Staline en grand uniforme et une représentation des membres du bureau politique du Parti communiste français où je reconnais André Marty, Maurice Thorez et Jacques Duclos. Au bout d’un temps qui frise l’impolitesse, l’homme referme son dossier, lève le nez, le regard indifférent :

-          Salut, camarade. Assieds-toi.

Puis s’adressant au militant qui m’accompagne :

-          Tu peux nous laisser, camarade.

Dès qu’il est sorti, il tend la main.

-          Tu as le document ?

Je lui remets le texte que St-Amand m’a fait parvenir. Il se met à lire lentement. Pose le papier devant lui. Me regarde. Je pense qu’il va me parler. Il se remet à lire une seconde fois, avec une attention accrue. Comme s’il cherchait quelque chose qui lui aurait échappé. Il s’enfonce ensuite profondément dans con confortable fauteuil. S’y accoude. Croise les mains sous le menton. Ne me quitte plus des yeux. Un long silence, puis :

-          Et Max ? On le voit plus à la section.

Je suis médusé. Je n’ai pas à répondre à une telle question ! C’est absurde ! Cela ne me concerne pas ! Je ne suis tout de même pas responsable de mon oncle ! L’homme attend patiemment.

-          Bien, on te convoquera.

Il n’examine toujours. J’attends qu’il me dise quelque chose. Je n’imagine pas que l’entretien soit terminé. Il décolle du fond de son siège. Se réinstalle à son bureau. Je demeure interloqué. Pourquoi une telle attitude ? Je bouge sur ma chaise pour attirer son attention. Il lève les yeux :

-          On te convoquera. Salut, camarade.

Je comprends enfin que l’entretien est vraiment terminé. J’hésite une seconde sur la conduite à tenir. Je me sens sur le point d’exposer. »

                                                                                                                                                                Gérald Bloncourt,

 

Après la lecture de ce morceau choisi, on a qu’une seule envi : demander à toute personne de se mettre dans la peau de Gérald Bloncourt et d’imaginer tous les sentiments ressentis, et non exprimés qui l’ont traversé pendant ce face-à-face.

Journal d’un révolutionnaire est un livre que tous devraient lire, notamment ceux qui ont connu ( ou n’ont pas connu) cette période-là.

En tout cas, il a fait remonter en moi des situations connues pendant ma vie d’étudiante dans un pays communiste !

Merci Gérald.

 Nyélénga



13/12/2014
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