Qui vient de loin (Ewur'osiga). Le Blog d'Alfoncine N. Bouya

Qui vient de loin (Ewur'osiga). Le Blog d'Alfoncine N. Bouya

Mayonbe en Haiti

A l’entrée de Pilate, un petit panneau indique « Route de Mayonbé ». Le nom fait tilt dans mon esprit et me ramène au pays. Mayonbe ! Mayombe ! Mayumbe ! Peu importe : cela ne peut qu’avoir une seule et même origine : l’Afrique centrale !

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Je me dis qu’il me faut absolument visiter cette localité.

Le Mayombe en Afrique centrale est une immense étendue sur la rive droite du fleuve Congo, le deuxième fleuve du monde en débit. Situé au sud de l’équateur, il s’étend de la République démocratique du Congo, à l’enclave du Cabinda en Angola, au Congo-Brazzaville et au Gabon.  La forêt du Mayombe est dense et renferme plusieurs essences de bois parmi lesquelles les très célèbres limba et okoumé. On considère que c’est l’une des plus grandes et plus importantes forêts de l’Afrique. Disons, qu’elle le fut, avant l’exploitation anarchique de ses essences à forte valeur économique.

Mais, il n’y a pas que la forêt de Mayombe. Il y a aussi des montagnes parmi lesquelles : le Mont Foungouti, le Mont Bamba, les Monts Kinoumbou, les Monts de Ngouédi et de Kanga ; les pics Bombo et Kiama.

Les habitants de cet espace sont les Yombé, (singulier Muyombé, pluriel Bayombé). Ils font partie du grand groupe Kongo que l’on retrouve en RDC, au Congo-Brazzaville et en Angola.

Plusieurs significations sont données au mot Mayombé. Certains disent qu’il signifie tout simplement « la forêt » ; ses habitants, les Bayombé seraient donc « ceux qui vivent dans la forêt ». A ne pas confondre avec les Pygmées ! D’autres, par contre, disent que Mayombe signifie « la bravoure » ou « une personne brave ».

Il va s’en dire que si le nom Mayombe se retrouve dans plusieurs régions d’Haïti, c’est qu’il y a été transporté par les esclaves venus de cette partie de l’Afrique qu’est l’Afrique centrale, plus précisément de la région occupée actuellement par les quatre pays ci-dessus mentionnés, à savoir la République démocratique du Congo, la République du Congo, l’Angola et le Gabon.

En Haïti, il existe une localité Mayombe dans le département de l’Ouest, après Grand Goâve, à l’oblique de Fouché et à quelques kilomètres de Papette.  Je n’ai pas visité cette localité, bien qu’ayant souvent fait la route nationale 2 pour me rendre à Grand Goâve, Petit Goâve,  aux Cayes et Port-Salut.

A Pilate, alors que j’expliquais avec enthousiasme d’avoir vu le panneau indiquant la route de Mayonbé, à un ami venu du Cap Haïtien me remettre un lot de CD sur des cérémonies vodou, il m’informa qu’il existait aussi dans le Nord-Est d’Haïti un Morne Mayombe limité à l’ouest par Limonade, au nord par Fort-Liberté, à l’est par Dajabon et au sud par Cercadie. Pour lui, le nom Mayombe serait d’origine  « indienne Taïno » mais pour moi, il n’y avait aucun doute, ce mot vient de l’Afrique centrale.

Aussi, au lendemain de cette discussion avec cet ami, je décidai de me rendre dans la localité de Mayonbé.  Je demandai à un habitant de Pilate du nom de Delamare de m’y accompagner, après lui avoir expliqué que dans mon pays, il y avait une région qui portait le même nom : Mayombé. Il accepta avec grande joie, non sans m’avoir prévenue qu’il n’y avait pas de route sinon qu’une simple piste que même les motos ne peuvent emprunter. Vers dix heures du matin, sous un ciel mi-nuageux, mi-ensoleillé, nous nous engagions sur le sentier qui mène à Mayonbé, sentier qui, de lui-même, contredisait le panneau « Route de Mayonbé », puisque de route, il n’y en avait point.

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Delamare cédant le passage

Nous marchions à travers les plantations de bananiers et les hautes herbes, lui devant, moi derrière tant la piste était étroite et sinueuse. Nous nous enfoncions dans ce qui pour moi était une forêt. Je m’émerveillais devant ces arbres (moins grands que ceux du Mayombe congolais). J’expliquais à Delamare que ce paysage d’herbes, d’arbres et de bananiers ressemblait de plus en plus au paysage de chez moi, que ça me rappelait la forêt de chez moi. A ma grande surprise, il me demanda ce qu’était une forêt.  Je me lançais dans des descriptions du genre à le transporter dans l’immense forêt équatoriale ; je lui parlais des grands arbres dont le feuillage empêchait les rayons du soleil de percer jusqu’au marcheur qui avance, comme nous, sur une piste ; je lui parlais des arbres dont les racines s’enfoncent dans les marécages de la forêt inondée ; je lui décrivais les plaines et les savanes à la lisière des forêts.  Je parlais, je parlais sans cesse, comme chevauchée par je-ne-sais-quel esprit, quel loa de la forêt. Delamare avançait en m’écoutant sans poser de questions. Etait-il avec moi ou se trouvait-il déjà  transporté quelque part dans cette Afrique centrale dont il entendait parler pour la première fois? Il ne m’interrompait que lorsque nous devions nous écarter légèrement de la piste pour céder le passage à un passant à qui il ne manquait pas de me présenter en ces termes : « Madame est une africaine qui veut voir Mayonbé parce que dans son pays il y a aussi Mayonbe », ou lorsque nous dépassions une habitation et qu’il lançait le salut, non sans préciser  « Nous allons à Mayonbé. Madame que voici vient d’Afrique, dans son pays il y a aussi Mayombe et elle veut voir notre Mayonbé ».  La réponse de ceux que nous croisions était toujours la même : « Mais oui, nous venons tous d’Afrique nous autres aussi! »

Le sentier suivait la pente des mornes, longeait les ravins. Nous traversâmes à gué quatre rivières où s’écoulait une eau limpide à vous donner envie de vous y baigner.

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La plus petite des rivières traversées

De temps à autre, Delamare s’arrêtait devant une plante ou une herbe, m’en donnait le nom créole et me demandait si cette plante ou cette herbe existaient aussi chez moi. Dans la plupart des cas, ma réponse était affirmative.

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Feuilles Loup-Garou en Kréyol Haïtien ou Dzoga en langue Koyo du Congo

Au bout d’une heure de sentier, je commençais à m’essouffler et lui demandai si la localité était encore loin.  Sa réponse ne variait pas : « Nous sommes presqu’arrivés ». Le « presque » dans la bouche de Delamare voulait dire que nous en avions encore pour au moins une demi-heure de marche.

Nous atteignîmes un croisement de sentiers et il s’éloigna pour « se soulager » me laissant sur la piste. C’est alors que je vis une couleuvre aux reflets bleus et verts traverser la piste à quelques mètres de l’endroit où j’attendais mon guide. Le temps de réagir pour sortir ma caméra de son sac, la couleuvre avait déjà disparu derrière les herbes. Un frisson parcourut tout mon corps. Depuis quatre ans que je suis dans ce pays, je n’ai jamais vu de couleuvre malgré les affirmations de ma femme de ménage sur leur existence.

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L'endroit où est passée la couleuvre

J’étais comme pétrifiée, me demandant (croyance vodou oblige) si cette couleuvre n’était pas porteuse d’un message pour moi. Un garçon arriva en courant, me salua. Au moment où il allait me dépasser, je lui posai la question de savoir s’il y avait beaucoup de couleuvres par ici. Il répondit par l’affirmative, ce qui ne fit qu’augmenter ma peur : je n’aime pas les serpents. Lisant l’expression de peur qui se dégageait de moi, le garçon me rassura : « Il y en a, mais elles sont inoffensives. » Puis il ajouta « elles peuvent même s’enrouler autour de votre cheville, mais elles ne vous mordront pas. » Il dévala la piste sans attendre ma réaction. Je n’osais plus faire un pas et j’appelai  Delamare qui arriva à son tour à pas pressés.

-          Qu’y a-t-il Madame ?

-          Je viens de voir une couleuvre, là, fis-je d’une voix faible !

-          Elle doit déjà être loin !

-          Est-ce que tu penses que c’est une couleuvre « normale » ou un esprit quelconque ?

-          Ah ça je ne sais pas. Mais peut-être qu’elle est venue vous souhaiter la bienvenue ! Vous voyez les cases là-bas ? C’est déjà Mayonbé !

-          Et ce garçon sorti de nulle part et qui vient de s’enfuir ?

-          Certainement un petit du coin. Il est parti annoncer qu’il y a une étrangère qui se dirige vers la localité. Rien de plus.

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Nous reprîmes notre route sans que je puisse dire un mot. Après avoir longé une ravine d’où s’élevait le bruissement de l’eau qui se fraie un passage à travers rochers et plantes aquatiques, nous atteignîmes l’entrée de la localité de Mayonbé. Delamare s’arrêta pour me montrer une cabane faite de feuilles et de palmes.

-          Voici le centre d’alphabétisation !

-          Vous faites de l’alphabétisation ici ?

-          Oui, et je suis le superviseur ! Je viens ici toutes les deux semaines pour suivre comment se déroulent les cours.

Décidément, j’étais bien en Afrique ! Ce centre d’alphabétisation ressemblait fort à ceux que j’avais visités au Mali et au Burkina Faso, il y a quelques années : construit sur une espèce de monticule, isolé du village, pas de bancs excepté un tronc d’arbre sur lequel les apprenants doivent certainement s’asseoir pour suivre les cours. Je pris quelques photos.

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Centre d'alphabétisation à l'entrée de Mayonbe

Quelques mètres plus loin, Delamare s’arrêta pour me présenter à une dame, toujours avec les mêmes mots. La dame nous dit d’attendre et fila derrière sa case. Elle revint quelques minutes plus tard les mains chargées de gingembres qu’elle venait juste de déterrer. Elle nous les remit en me demandant si dans le Mayombe de chez moi le gingembre poussait aussi. Affirmatif !

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En attendant le gingembre

La pente qui mène au centre de la localité devenait plus abrupte. Je m’arrêtais tous les trois pas pour reprendre mon souffle, me disant à moi-même que j’étais en train d’escalader le Mont Bamba, que j’avais oublié cette pratique de chez  moi qui veut qu’en traversant le Mont Bamba il fallait jeter quelques pièces de monnaie pour que les esprits de la montagne vous laissent passer. La peine que je ressentais à gravir ce flan du petit morne qui conduit au centre de Mayonbé venait certainement de cet oubli !

Nous dépassâmes deux cases avec ce qui était devenu un rituel de présentation et de salutation. La troisième case était dans une cour dans laquelle se trouvaient deux dames et un monsieur. Je fis signe à Delamare que je ne voulais plus aller plus loin puisque de toutes les façons nous étions arrivés à Mayonbé. Il me présenta de la même manière aux occupants de la cour. Ceux-ci nous offrirent deux bancs pour nous asseoir.

Des questions sur mon pays, sur le Mayombe de mon pays ne tardèrent pas à être le sujet principal de nos échanges avant de glisser vers la traite des Noirs et les conditions de vie et de travail des Haïtiens en République Dominicaine d’où venait d’être expulsé notre hôte pour délit d’haïtianité.

Après une heure de questions –réponses, nous reprîmes le sentier en sens inverse, cette fois-ci bien décidés à suivre l’itinéraire conseillé par notre hôte qui réduirait d’une demi-heure notre parcours.

En longeant le flan d’un ravin au fond duquel coulait une rivière, je fus stoppée net par la vue d’un phénomène pour le moins surprenant. A travers l’abondante frondaison qui surplombait la ravine, j’aperçus quelque chose qui ressemblait aux rayons bleutés du soleil qui avaient du mal à se frayer un chemin. Le tout formait une espèce de « moustiquaire » conique dont le sommet se perdait dans le feuillage et la base s’étalait au -dessus de la rivière. J’appelai Delamare pour le lui montrer. Il se rapprocha de moi pendant que j’essayai de capturer cette image en zoomant du mieux que je pouvais.  Au bout de trois tentatives sans succès, Delamare finit par trouver une explication :

-          Allons-nous en  d’ici ; ça doit être un endroit où les mystiques viennent faire leurs affaires !

Nous pressâmes le pas. Lui, toujours devant, moi toujours derrière plongée, dans mes pensées remplies de mysticisme africano-haïtien: d’abord la couleuvre, puis ce voile bleu au-dessus d’une rivière au fond d’une ravine.

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Vue partielle du "voile mystique"

Le trajet du retour fut, en effet, moins long grâce aux conseils de notre hôte.

Rentrée à Pilate, je m’installais sur le balcon, les yeux fixés, pendant des heures sur les nuages blancs qui défilaient au-dessus des mornes tandis que mon esprit s’échappait vers la forêt du Mayombe, emportant avec lui la couleuvre aux reflets bleus et verts et le voile de moustiquaire bleuâtre argenté au-dessus de la rivière au fond de la ravine.

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Nuages défilant au dessus des mornes

 

Nyélénga



18/10/2014
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