Masengo Ma Mbongolo : l’homme qui s’est créé un rêve et le vit
Je l’ai rencontré à Soukri, une nuit du 15 août, jour de la fête de l’indépendance de notre pays et aussi jour de fête de Lakou Soukri, une des trois « Cour » (Lakou) aux environs de la ville des Gonaïves (département de l’Artibonite) qui, avec Lakou Souvenance et Lakou Badjo forment le triangle ésotérique du Vodou haïtien. Il convient de préciser qu’il existe en Haïti beaucoup d’autres Lakou, mais ces trois-là semblent être les plus connues.
Je ne sais pas beaucoup de lui, car l’homme ne parle pas beaucoup. Par timidité, réserve, méfiance ? Nul ne saurait le dire.
Du peu qu’il a pu me livrer, j’ai compris qu’il avait atterri en Haïti la première fois en 2002, à la recherche de je-ne-sais-quoi, en tout cas après une mésaventure de refus d’un visa pour la Guadeloupe et la Martinique, lui qui croyait que le fait d’avoir un titre de résidence dans un pays membre de l’Union Européenne, le dispenserait d’un visa d’entrée dans les Départements français d’Outre-Mer.
Bien en lui fit, puisqu’à force de frapper aux portes des ambassades et des consulats dans son pays de résidence, l’idée germa en lui, qu’à défaut de la Guadeloupe et de la Martinique, il pourrait tout aussi bien se rendra en Haïti.
Au consulat chargé de lui délivrer le visa, la question lui fut posée de savoir ce qu’il allait chercher dans un pays « aussi pauvre qu’Haïti » ? (sic). Ce à quoi il répondit avec un humour sourd-muet : « la pauvreté, je la connais, puisque selon certains, elle serait noire autant que je suis noir » ! Sans désarmer le consul avança une autre affirmation bien stéréotypée sur Haïti : « Mais il y a de l’insécurité dans ce pays » ! Entêté comme un Kongo qu’il est (au Congo le stéréotype est bien connu selon lequel les Kongos seraient très têtus), Masengo répliqua : « Je suis ressortissant d’un pays qui a connu des guerres civiles qui m’ont fait passer des mois dans la forêt. C’est vous dire que l’insécurité aussi je connais » ! A bout d’argument, le consul lui donna le visa. Quant aux trente (30) euros qu’il devait payer comme frais pour l’obtention de ce visa, le consul décida qu’il pouvait les garder pour « les distribuer à ses parents pauvres d’Haïti » ! (re-sic).
C’est ainsi que notre Masengo Ma Mbongol obtint un visa gratuit qui lui permit d’atterrir au pays de Toussaint Louverture, de Jean Jacques Dessalines et de Henri Christophe pour ne citer que ceux-là. A Port-au-Prince, il fut accueilli par feu Papa Bona (congolais de la République Démocratique du Congo établi depuis plusieurs années en Haïti) et son ami nigérian que tout Port-au-Prince connaît sous le pseudonyme de « l’Africain ».
Poussé par cette force mystérieuse qui s’insinue de manière sélective dans l’esprit des Africains qui débarquent en Haïti, Masengo Ma Mbongolo laissa libre cours à ses désirs de connaissance et se mit à poser des questions sur le Vodou haïtien. Ainsi, se retrouva-t-il dans le Hounfor (Temple) du Hougan (prêtre vodou) Elien Isac dit Samba El. Hasard ou prédestination ? En tout cas Samba est un des noms très africain qui se retrouve aussi bien en Afrique centrale (les deux Congo, la République Centrafricaine, le Gabon et le Cameroun) qu’en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Guniée, Gambie, Mauritanie). Ainsi naquit, entre les deux amis, une amitié qui se transforma, au fil du temps en une véritable fraternité.
Masengo et Elien Isac dit Samba El.
Depuis, Masengo Ma Mbongolo se rend régulièrement en Haïti où, Samba El, devint le représentant de l’association culturelle Malaki Ma Kongo fondée par Masengo en 1991 au Congo-Brazzaville, et qui, au fil des années, d’organisation de voyages culturels, de présentations théâtrales a réussi à s’implanter dans plusieurs pays d’Afrique, des Caraïbes et des Amériques.
En Haïti, Malaki Ma Kongo travaille en étroit partenariat avec l’association C.E.C.I.L.E. (Centre Education Culture International Art Expérience) créée par Samba El. Le choix de l’acronyme C.E.C.I.L.E. est un hommage rendu à Cécile Fatiman, une esclave de Saint Domingue qui avait participé à la cérémonie du Bois Caïman le 14 août 1791, cérémonie qui marqua le début de la fin de l’esclavage et de la colonisation sur l’île de Saint Domingue. Selon Samba El, c’est par Cécile Fatiman que l’esprit Erzulie Dantor se manifesta pour la première fois dans une cérémonie vodou.
Cette année 2014, Masengo Ma Mbongolo, dans le cadre de son activité baptisée « Afro-Tours Spirit » s’est rendu (encore une fois) à Port-au-Prince, au pied de la statue du Marron Inconnu. Il a pu également visiter le Cap-Haïtien, ville hautement symbolique de l’histoire d’Haïti, le Bois Caïman, lieu de la très fameuse cérémonie vodou qui déclencha la révolte des esclaves, la Citadelle Laferrière et le Palais Sans Soucis, deux œuvres monumentales du Roi Christophe. Dans le département de l’Artibonite, Tâtâ Masengo s’est rendu à Soukri, puis à Marchand Dessalines où je l’ai personnellement accompagné.
Masengo Ma Mbongolo devant les Kay Mystères de J.J. Dessalines et de son épouse Claire Heureuse.
De retour à Port-au-Prince, il a pu s’entretenir avec d’éminents personnages comme l’Ati Max Beauvoir et les ethnologues Rachel Beauvoir-Dominique et Bayyinah Belo. Il s’est également créé de nouvelles amitiés avec Damaz et Margareth Alexis, Franck Désiré, et bien d’autres encore. C’est dire qu’en Haïti, Masengo Ma Mbongolo est désormais chez lui.
Masengo, Samba El et moi prenant un verre au Karibé Hôtel à Port-au-Prince.
Pour en revenir à Soukri, lieu de ma première rencontre avec Masengo, il convient de préciser que, selon la tradition vodou d’Haïti, Soukri est le lieu le plus connu où se pratique le rite Kongo. Les cérémonies religieuses vodou atteignent leur apogée les 13, 14, et 15 août avec, notamment le sacrifice du bœuf qui se fait dans la journée du 15 août.
A noter également que le 15 août est la date de l’indépendance du Congo-Brazzaville et que les dates des 13,14, et 15 août sont des dates historiques très importantes au Congo-Brazzaville désignées par les « Trois Glorieuses », à la suite des événements de 1963 quand des syndicalistes avaient poussé à la démission le Premier Président de la République du Congo, l’Abbé Fulbert Youlou. Avant de devenir prêtre puis Président de la République, l’Abbé Fulbert Youlou avait débuté ses études théologiques au petit séminaire de Mbamou où il s’était lié d’amitié avec Jacques Opangault qui sera nommé Ministre d’Etat le 13 août 1960. Ceci pour insister sur la symbolique de ces trois dates et sur leur « sacralité » pour le Congo-Brazzaville.
Pour rester dans l’aspect mystique et religieux, le 15 août est la fête de l’Assomption de Marie (Mère de Jésus) pour les chrétiens catholiques ; et c’est aussi le jour où, à Soukri, les vodouisants célèbrent Erzulie Dantor, la vierge noire en même temps que d’autres mystères (esprits) du vodou, d’après ce qui m’a été expliqué. Il semblerait même que l’exclamation préférée de l’Abbé Fulbert Youlou était : « Par la Vierge Noire » ! Ce qui, bien entendu, demande à être vérifié auprès de ceux qui l’ont côtoyé de très près et/ ou qui ont mené des études sur lui. Selon Milo Rigaud dans son livre « La tradition Voodou et le Voodou Haïtien » cette vierge noire serait d’origine éthiopienne.
Pour en revenir à Masengo Ma Mbongolo, ses multiples voyages à travers les Caraïbes et les Amériques suscitent beaucoup de curiosité. Ainsi, un ami commun me posa dernièrement cette question (après le séjour de Masengo en Haïti) : « Est-ce-que tu peux me dire ce qu’il cherche vraiment » ? Je ne pouvais pas répondre à une telle question.
Cependant, une chose est certaine, pour moi, c’est que Masengo Ma Mbongolo s’est créé son propre rêve qu’il vit intensément, essentiellement et pleinement : JETER UN PONT CULTUREL TRANSATLANTIQUE.
LLK
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