Le caillou sous le pied
Aujourd’hui je décide de rentrer en taxi. J’en arrête un qui vient juste de démarrer à quelques mètres de l’endroit où je me trouve, devant le bureau :
Moi : « C’est combien pour me déposer rue des Jardins »
Lui : « C’est 2000 FCFA Mamy »
Moi : « Comment ça 2000FCFA ? J’ai payé 1500 pour ce matin pour le même trajet ! »
Lui : « Le matin est passé, Mamy, le chauffeur qui t’a prise là ne t’avait pas bien regardée ! Il dormait encore ! Regarde toi-même comment tu es bien habillée, bien jolie là ! Pardon, ne me donne pas la honte. Ok monte ! »
Je monte. Il fait une manœuvre dangereuse au milieu de la rue pour prendre la direction de chez moi sans se soucier des voitures qui foncent sur nous à vive allure dans les deux sens.
Moi : « tu veux ma mort ? »
Lui : « Non Mamy, je ne peux pas tuer ma Mamy ! »
Il termine sa manœuvre et se gare sur le bas-côté.
Lui : « Attends-moi une minute Mamy, je dois donner son téléphone à la fille là. »
Moi : « Mais, où vas-tu ? Je dois rentrer chez moi. »
Sans faire attention à ma remarque, il augmente le volume de la radio et descend de sa voiture :
Lui : « Juste une minute, Mamy ! Tu n’as qu’à écouter la bonne musique là ! Je dois donner le téléphone à la fille là. »
Sur ce, il claque la portière et s’éloigne. Je n’ai pas le temps de réagir, ni la force de descendre de son taxi pour en attendre un autre. Je ferme les yeux pour savourer la musique que diffuse la radio. C’est, en effet, de la bonne musique. Curieusement je n’ai pas peur. Sans doute parce que de l’autre côté de la rue, un des gardiens du bureau a suivi tout le manège du taximan, et veille.
Il revient au bout de 5 minutes et démarre en trombe, passe devant un gros camion qui crache sur nous une fumée noire. Mon taximan en profite pour lui balancer une injure dans une langue que je ne comprends et termine par « Salaud, ton camion est pourri ; il faut le jeter. »
Suit une minute de silence. J’observe mon taximan par le rétroviseur. Puis :
Moi : (cédant à ma légendaire curiosité): « c’est qui cette fille pour laquelle tu m’as fait attendre ? »
Lui : « C’est ma femme, Mamy. Mais elle est bête et sauvage ! »
Moi : « Comment ça ? »
Lui : « Attends je vais t’expliquer, Mamy ! Cette fille vit avec moi depuis longtemps. On fait business de taxi là ensemble. Mais elle est bête. Elle pense que ma Vieille ne l’aime. Je lui ai expliqué que c’est faux ce qu’elle pense. Ma Vieille mère là c’est ma mère adoptive depuis que je suis petit comme ça. Mais ma femme là aime trop palabre. »
Moi : « Ne t’en fais pas ça ira, ça va s’arranger ! »
Lui : « Non, Mamy. Même les 12000 francs que j’ai dépensés pour réparer la batterie de son téléphone, elle ne m’a pas remboursé. Et puis elle a voulu crier sur ma tête devant le Monsieur qui était debout là-bas. »
Moi : « Ne t’en fais pas, ça va aller ! »
Lui : « Cette femme là, elle n’aime pas ma Vieille ! Je te dis, c’est elle qui n’aime pas ma Vieille. Alors qu’il y a une petite là qui est plus intelligente qu’elle ; la petite appelle ma Vieille tous les jours : « bonjour Maman, comment ça va ? Tu as bien dormi ? »
Moi : « Ah bon, il y a une petite ? C’est donc normal que ta femme soit jalouse ! »
Lui : « Attends, toi-même Mamy, est ce que tu n’es pas contente quand on t’appelle pour te dire bonjour ? »
Silence.
Lui : « Ahan, tu ne réponds pas, c’est que moi j’ai raison. »
Moi : « Tu vis ensemble avec ta femme ? »
Lui : « Non, ça fait seulement deux semaines que j’ai quitté »
Moi : « Et tu es parti où ? »
Lui : « Je suis pour moi parti à Yopougon, comme elle n’aime pas ma Vieille, je suis parti, elle est restée dans la maison qu’on louait ensemble à Palmeraie. »
Moi : « Ah bon, tu as fait ça ? Et si un autre homme te prend ta femme ? »
Lui : « Mamy, moi je n’aime pas palabre ho ! Quand un aveugle te dit « viens on va lancer caillou », c’est qu’il a posé son pied sur un caillou »
Moi : « Je ne comprends pas »
Lui : « Un aveugle ne voit pas, il ne peut pas voir un caillou qui est couché là par terre ; donc s’il te dit « viens, on va lancer caillou », c’est que son pied est déjà posé sur un caillou. Tu comprends maintenant, non ? »
Moi : « Pas vraiment, mais ce n’est pas grave. Nous sommes arrivés. Tu me déposes là devant le portail. »
Je lui tends un billet de 2000 FCFA. Il veut me rendre la monnaie, je lui dis de la garder. Je descends du taxi et j’entends :
Lui : « Mamy, tu as dit que ça va s’arranger hein ? »
Moi : « Oui ça va s’arranger si tu dis à la petite de laisser la Vieille, de ne plus l’appeler ! »
Il éclate de rire et poursuit :
Lui : « N’est-ce pas c’est toi-même tu as dit que ça va s’arranger ? »
Moi : « Oui c’est ça ! »
Il rit encore : « Ah mamy, merci Mamy, merci ho! »
Puis il démarre, le cœur en joie. Le gardien vient ouvrir pour moi le portail, l’œil malin. « Mamy, ton chauffeur de taxi là est content hein ! » Il avait lui aussi suivi tout notre manège.
Moi : « Oui, mon fils, il est content ! »
Tout cela sur un trajet de deux kilomètres !
Nyélénga
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